LA MAUVAISE ACCLIMATATION DE LA NOTION INTERNATIONALE DE "TRUE AND FAIR VIEW" (IMAGE FIDELE) DANS LES PAYS DE DROIT ROMAIN: LES CONSEQUENCES SUR LE CADRE CONCEPTUEL FRANCAIS


Aline HONORE

Centre de recherche : CREFIGE

Introduction : un bref historique

Douze pays européens ont conclu, il y a seize ans, un accord ayant donné naissance à la IVème Directive de 1978. Avec le développement du Marché commun, le cadre institutionnel et l'espace économique des entreprises se sont modifiés. Afin d'assurer le bon fonctionnement du marché unique, un environnement économique et monétaire homogène s'avérait indispensable. Pour cela, les objectifs du document européen en matière d'harmonisation comptable ont été :

- la disposition d'informations suffisantes et comparables pour rationnellement guider les investissements de capitaux,

- la non constitution de sociétés où les exigences en matière de comptes annuels sont les plus faibles,

- la multiplication des liens commerciaux et des participations entre les sociétés,

- l'établissement d'une sécurité juridique grâce à une homogénéisation des obligations des sociétés des différents pays.

Le cadre comptable adopté aurait été l'illustration d'une comptabilité européenne voire-même internationale. Compte tenu de sa nature juridique, le texte européen devait être introduit par le biais d'une loi nationale : en France, la Loi du 30 avril 1983 et son décret d'application du 29 novembre 1983. La finalité du cadre comptable européen est alors devenue, par obligation, celle du cadre comptable français : l'image fidèle de la situation patrimoniale, économique, et financière de l'entreprise représentée par les documents annuels qui sont le bilan, le compte de résultat, et l'annexe.

A l'heure actuelle, ce nouvel environnement résulte de deux conceptions, l'une germano-romaine, et l'autre, anglo-saxonne. En effet deux sources "nourrissent" la réglementation britannique : la première est gouvernementale et se matérialise par les lois sur les sociétés (Companies Acts), la seconde est professionnelle et représentée par l'Accounting Standards Board (Comité des Normes Comptables), qui met en place les normes de la profession comptable. Il est important de remarquer que les normes de l'A.S.B. ont un niveau réglementaire, au même titre que les principes comptables en vigueur. En fait les organismes professionnels ont un rôle important en matière de réglementation. Par ailleurs l'écart entre les comptes sociaux et la fiscalité est conséquent. : il est primordial de renseigner les actionnaires (actuels ou potentiels), les banques, et les créanciers. La déclaration fiscale est un document à part qui n'influence en aucune façon les documents sociaux. L'environnement germano-romain est imprégné d'une forte influence gouvernementale donnant moins de poids aux organismes professionnels : c'est principalement le cas, dans la Communauté, de la France et de l'Allemagne. La fusion de deux optiques, basées sur des fondements culturels différents, ne laisse alors aucune place à l'indifférence : la hiérarchie française des sources de Droit, l'influence fiscale, l'ensemble des principes en vigueur n'ont fait l'objet d'aucune remise en question : la construction d'un cadre cohérent semblait, dans l'état des choses, ne présenter aucune véritable difficulté.

Or la "True And Fair View" est une notion anglo-saxonne, l'Image fidèle, sa proche traduction, est alors introduite dans un environnement différent. En effet, en France, les principes comptables ont fait l'objet d'une codification, alors qu'en Grande-Bretagne, ils proviennent des usages.

Sans définition préalable dans les textes, des liens entre l'Image fidèle et les principes comptables codifiés, dispose-t-on, en France, d'un cadre comptable, fût-il implicite, vraiment harmonieux ?

I - La présentation des faiblesses du cadre comptable adopté

Les causes d'adoption du texte européen semblent de toute noblesse. Elles justifient la tendance actuelle d'harmonisation, en vue d'un langage commun dans plusieurs domaines. Bien que la IVème Directive européenne soit dotée d'une logique interne, son intégration au niveau national n'aboutit pas au même résultat. Le cas de la France apparaît, sur ce plan, intéressant. Mais auparavant, voici quelques remarques sur les omissions du texte européen.

Il est certain que la construction d'un cadre comptable européen constitue un pari difficile compte tenu des spécificités de chaque Etat. Les différences sont surtout d'ordre juridique, historique, et culturel. Il paraît difficile à un texte de Loi de les intégrer sans porter atteinte à la clarté des exposés. Au niveau des cadres comptables nationaux certaines carences méritent d'être relevées.

En France, aucune définition précise n'est encore attribuée à la notion d'Image fidèle, concept importé. Le terme, introduit par la IVème Directive, est imprégné de l'intégralité des traditions comptables anglo-saxonnes qui consiste à adopter un modèle comptable d'établissement, de présentation, et d'évaluation, avec comme référentiel, un ensemble de principes généralement admis, laissant toute initiative aux professionnels dans la mise en oeuvre du processus allant de l'enregistrement des données jusqu'à la diffusion des informations comptables et financières. Les professionnels français ont une démarche complètement différente. Leur principal référence est le plan comptable de 1982, véritable guide dans le processus mentionné précédemment. Ainsi la notion de "True And Fair View" (Image fidèle) perd, en France, son sens et sa portée. Avant de calquer ce concept il apparaît nécessaire de le situer dans son nouveau contexte. Dès lors une série de questions sont débattues dans l'ensemble des milieux de la comptabilité quant à l'enrichissement ou non des comptes annuels, l'identification des cas exceptionnels où l'Image fidèle jouit de toute sa puissance, la nature de la réalité que doivent représenter les comptes annuels...

Auparavant, les termes de régularité et de sincérité semblaient mieux adaptés à l'esprit du cadre comptable français empreint d'un Droit écrit surtout défini par des instances politiques, pas toujours proches des réalités, mais rigoureusement suivi. Aujourd'hui il est demandé aux professionnels de s'engager davantage alors que certaines structures ne sont pas forcément compatibles :

- les sources du Droit comptable sont fortement hiérarchisées, et, le pouvoir officiel de normaliser n'est pas aux mains de ceux qui sont le plus concernés. En effet cinq niveaux sont à considérer, en fonction desquels se détermine la force des textes :

1 - les traités internationaux dont fait partie la IVème Directive européenne de 1978 ;

2 - les sources législatives dont la Loi comptable de 1983 et son décret d'application ;

3 - les sources réglementaires dont le PCG 1982 résultant de l'arrêté ministériel du 27 avril 1982, mis à jour par un arrêté du 9 décembre 1986 ;

4 - la doctrine comptable "nourrie" essentiellement par les travaux du C.N.C., le Conseil National de la Comptabilité, et la C.O.B., la Commission des Opérations de Bourse. Le premier organisme est consultatif et placé auprès du Ministère Chargé des Affaires Economiques, le second d'ordre public est le produit d'une Ordonnance de septembre 1967. Ils disposent d'un pouvoir officiel de normalisation ;

5 - la jurisprudence, au poids encore trop faible, se compose de l'O.E.C.C.A., l'Ordre des Experts Comptables et des Comptables Agréés, et de la C.N.C.C., la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes.

- une similitude des positions n'existe pas toujours. Alors que le code de commerce range le principe de prudence au niveau des règles d'évaluation, le PCG 1982 l'élève au niveau de la finalité, à savoir l'Image fidèle : selon les termes de ce document, l'Image fidèle ne peut être obtenue en l'absence du principe de prudence, à l'inverse le code de commerce, permettant des dérogations à l'ensemble des règles, énonce sans ambiguité la primauté de l'image fidèle. Cette différence de vue engendre la cohabitation, dans un même environnement juridique, de deux conceptions différentes de la finalité du cadre comptable.

- la forte influence de la fiscalité a développé la tentation de privilégier la représentation d'une réalité engendrant des économies d'impôt au détriment du réalisme économico-financier. Le code général des impôts joue un rôle important car il est stipulé qu'"en l'absence de dispositions fiscales contraires, les règles comptables s'appliquent".

Il est vrai que les organismes professionnels tels que l'O.E.C.C.A. et la C.N.C.C. participent de plus en plus aux travaux de doctrine, mais leur pouvoir de normalisation est encore faible, compte tenu de la nouvelle finalité des documents annuels.

Des réformes d'ordre structurel permettraient peut-être d'adapter le cadre français à sa nouvelle finalité, mais l'histoire a laissé des traces indélébiles, et il semble impossible de remettre en question des siècles de tradition pour le "caprice" d'une notion. De simples modulations paraissent alors possibles, encore faudrait-il pouvoir les identifier et en mesurer l'impact. En fait il apparaît que les signataires du texte européen ont omis ces problèmes. C'est alors au niveau de chaque Etat qu'un pari audacieux est à faire : redéfinir, sans pour autant tout révolutionner, le cadre d'origine, en harmonie avec l'image fidèle, qui, en dépit du désarroi causé, reste le seul véritable sens de tout l'ensemble. Ainsi, l'harmonisation échoue contre un "mur" culturel. De plus, les dispositions du code de commerce (art. 8 à 17) et le décret du 29 novembre 1983 présentent les règles relatives aux comptes annuels sans se référer à des principes fondamentaux. L'unique élément positif reste la prise en compte, par le législateur, de règles de conduite émanant de la jurisprudence et de la pratique. Ce sont les règles d'établissement (ex : les qualités de régularité, de sincérité, et d'image fidèle, mentionnées dans le code de commerce et le P.C.G.), les règles de présentation et d'évaluation à travers les principes comptables. De ce nouveau cadre proposé, émanent des états financiers, qui dans leur conception et leur présentation, sont le compromis de principes comptables codifiés et d'un concept, d'origine anglo-saxonne, importé par la IVème Directive européenne : l'Image fidèle. Or, ce compromis a fait naître des contradictions et un flou troublant malgré les efforts du C.N.C. pour construire un cadre comptable de référence cohérent. En effet, comment parler d'Image fidèle de la réalité économique lorsqu'un immeuble demeure au bilan pour sa valeur d'origine alors que sur le marché de l'immobilier il serait probablement évalué différemment ?

La liste des exemples est longue. Le résultat est l'insatisfaction des utilisateurs de l'information comptable et financière, l'embarras des professionnels dans certaines situations, la difficulté des chercheurs oeuvrant pour la construction d'un cadre comptable solide. Or, tous s'accordent pour considérer la situation actuelle comme immuable et le respect des principes comme un postulat. Dès lors s'abriter derrière une réglementation rend difficile des recherches plus fines sur les principes comptables et leur possible remise en cause. Dans cette perspective, quelles sont les issues possibles ?

II - Analyse des liens entre l'Image fidèle et les principes comptables et proposition d'une solution

Voyons principe par principe, après un raisonnement de type avantage et inconvénient, les compatibilités ou incompatibilités avec la notion d'image fidèle (définie selon le code de commerce). Cependant les principes les plus concernés par l'analyse sont ceux d'évaluation car leur application module la qualité revêtue par les comptes, véritable domaine du concept importé :

1 - le principe du coût historique (ou du nominalisme monétaire) : art 12 du code de commerce "à leur date d'entrée dans le patrimoine, les biens acquis à titre onéreux sont enregistrés à leur coût d'acquisition, les biens acquis à titre gratuit à leur valeur vénale, les biens produits par l'entreprise à leur coût de production".

Ce principe a l'avantage de constituer une base permettant une comparabilité spatiale, car toutes les entreprises disposent du même système d'évaluation. L'inconvénient est que la comparabilité temporelle de l'information n'a pas de signification. En effet l'environnement économique est variable et en disposant de ce mode d'évaluation, l'entreprise semble considérée comme vivant dans un univers fermé et stable. De plus si un stock de produits n'est jamais épuisé, l'analyse de sa variation sur plusieurs périodes risque d'être erronée : entrent en stock des valeurs prises à des époques différentes, des francs de pouvoir d'achat différent sont ajoutés, ce qui paraît sur le plan du raisonnement économique aberrant.

L'incompatibilité avec l'exigence de fidélité des informations à la réalité de l'entreprise est très forte, car la réalité n'est pas exclusivement juridique mais économique. Le juridique devrait être défini à partir de la réalité des opérations économiques et financières. En effet si la comptabilité est vouée, en France, à rester l'algèbre du Droit, sa fiabilité doit devenir une priorité : c'est à partir d'un droit ayant requalifié la réalité de toutes les opérations économico-financières de l'entreprise que les outils comptables s'appliqueront dans le respect de l'image fidèle. Ici la règle du nominalisme monétaire paraît alors dépassée. Le principe du coût historique n'est pas irrégulier, il constitue une base sécurisante, mais depuis le 31 décembre 1983, il ne répond plus aux exigences actuelles de fidélité des comptes annuels.

2 - le principe de prudence n'est défini que dans le P.C.G. 1982 dans les termes suivants "la prudence est l'appréciation raisonnable des faits afin d'éviter le risque de transfert, sur l'avenir, d'incertitudes présentes susceptibles de grever le patrimoine et les résultats de l'entreprise.", le code de commerce n'en faisant qu'une simple mention "les comptes annuels doivent respecter le principe de prudence". Dans la mesure où l'avenir est incertain il paraît primordial de protéger le patrimoine. Il faut rappeler que dans la tradition juridique française la notion de patrimoine est rattachée aux éléments ayant un support réel. Avec le développement de l'économie et de la finance la réalité de la propriété de l'entreprise a évolué, ce qui demande une adaptation du terme patrimoine. Les informations sont alors diffusées dans une atmosphère de pessimisme, les pertes potentielles sont toujours prises en compte mais non les bénéfices incertains. En comptabilité lorsqu'il n'est pas tenu compte des "survaleurs", le patrimoine est alors minoré, comme si les variations négatives de la valeur d'éléments d'actif étaient plus certaines que les variations positives. Ceci met en relief un objectif de nature juridique : la protection des actionnaires ou associés et des tiers.

Or l'objectif importé par la IVème Directive est l'Image fidèle ce qui ne semble pas tout à fait compatible. Dans la mesure où les aléas ne peuvent être maîtrisés, la fidélité par rapport à la réalité future semble impossible, du moins difficile à définir. Les pertes et dépenses potentielles sont prises en compte par le biais des provisions, évaluées selon la connaissance des faits au moment de leur constitution. Au moment de leur réalisation, ces pertes et dépenses peuvent avoir une valeur différente : l'estimation peut s'être avérée trop faible ou trop forte. L'écart constaté entre le réel et le prévu reviendrait à avoir infidèlement traduit une réalité future, sauf si, compte tenu du fort degré d'incertitude, la fidélité à cette réalité tolérait une certaine marge d'erreur. Dans ce cas, cette marge devrait être définie et rendue la plus réduite possible. Ainsi par application du principe de prudence, les valeurs corrigées au bilan, avant la réalisation des faits, seraient, dans certains cas, fausses "par décalage". Au moment de l'estimation, ces valeurs seraient correctes puisqu'établies après une appréciation prudente et avisée des faits, mais s'avéreraient erronées si leur réalisation était différente. En dépit du développement des techniques d'informations prévisionnelles, les oracles n'existent pas en comptabilité et tous les événements de force majeure ne peuvent être déjoués ! Ainsi, l'évaluation des pertes ou dépenses prévisionnelles comportera toujours une marge d'incertitude. Ce développement remet plus en cause l'évaluation de pertes futures que le principe de prudence. Il ne manque pas d'intérêt si l'on considère que le principe de prudence s'applique à un outil faible en certitude.

Voyons maintenant l'incompatibilité entre le principe de prudence et l'Image fidèle fondée sur la non prise en compte des bénéfices potentiels. Si les comptes doivent donner une image fidèle de la situation patrimoniale, économique, et financière, l'omission de l'existence de bénéfices potentiels paraît une trahison à la fidélité d'informations. Les lecteurs ont une vision "minorée" de la situation de l'entreprise qui n'est pas vraie. Un enregistrement des opérations, symétrique à celui des provisions, retracerait l'apparition des profits potentiels, dans un premier temps, puis, en cas de réalisation, le produit définitif serait enregistré. Dans le cas contraire, l'écriture de constatation des profits latents serait annulée par le même mécanisme que celui de l'écriture de reprises pour les provisions.

En résumé le principe de prudence, contrairement aux termes du P.C.G., ne pourrait être indissociable du concept d'image fidèle. En effet, dans la mesure où le texte de la IVème Directive a réuni les conceptions germano-romaine et anglo-saxonne, il semble logique que le sens et la portée du concept importé soit le plus proche possible de ses origines. Le principe de prudence existe universellement mais reste indépendant de la notion d'image fidèle. Cette dernière semble exiger que soient pris en compte tous les événements survenus lors d'un exercice. Les gains latents sont des événements dont il faudrait tenir compte de façon courante. Comme le précédent principe, la prudence, en écartant la réalité des bénéfices incertains, tendrait à protéger le patrimoine mais aussi à le masquer. Pour les besoins de l'image fidèle, l'appréciation des faits nécessite davantage de précision grâce à des moyens scientifiquement plus fiables en matière d'évaluation des variations de valeur, en matière de traitement d'informations prévisionnelles. La comptabilité devant transcrire fidèlement toutes les opérations de l'entreprise, ces dernières doivent intégralement figurer dans les différents documents comptables, véritable trace de l'évolution de toute situation.

3 - le principe de permanence des méthodes est présenté par l'article 11 du code de commerce : "à moins qu'un changement exceptionnel n'intervienne dans la situation du commerçant, personne physyque ou morale, la présentation des comptes annuels comme les méthodes retenues ne peuvent être modifiées d'un exercice à l'autre". Un changement n'est toléré que dans deux cas :

- rectification d'une erreur,

- modification importante du contexte économique.

L'avantage est l'obtention d'une comparabilité temporelle des informations comptables et financières, d'où l'obligation d'établir des notes annexes et des chiffres comparatifs de l'exercice précédent. De plus, en cas de changement de méthode une justification est exigée et l'impact sur les résultats doit être chiffré. Cette notion ne rentre pas en conflit avec l'Image fidèle, car cette dernière n'étant pas figée peut être vue de façon dynamique. Cette vision évolutive de l'Image fidèle nécessite une comparabilité temporelle des documents annuels, qualité respectée par le principe de permanence des méthodes. Il est évident que les méthodes de présentation et d'évaluation doivent être compatibles avec le principe d'Image fidèle.

4 - le principe de continuité d'exploitation est cité dans l'article 14 alinéa 2 du code de commerce : "pour leur établissement (des comptes annuels), le commerçant, personne physique ou morale, est présumée poursuivre son activité", autrement stipulé la vie d'une entreprise s'étale sur plusieurs années et la cessation d'activité n'est pas envisageable dans un futur proche. Dans le cas contraire, les données d'origine sont complètement modifiées, de même que les méthodes d'évaluation des différents postes de l'actif et du passif, car la situation prend une tournure liquidative. Ce principe constitue une référence de laquelle découlent les autres principes, notamment d'évaluation. Tout dépend de l'évolution prévisible de l'activité de l'entreprise. La compatibilité avec l'Image fidèle dépend, d'une part de la compatibilité entre les méthodes appliquées et l'évolution réelle de l'entreprise, et , d'autre part de la compatibilité entre les méthodes appliquées et le concept d'Image fidèle.

5 - le principe de spécialisation des exercices : art 15 du code de commerce "seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture d'un exercice peuvent être inscrits dans les comptes annuels". Un cadre temporel est alors donné à l'activité de l'entreprise, l'année : le principe sous-jacent est ici celui de l'annualité. Par conséquent les charges et les produits sont comptabilisés et rattachés à l'exercice de leur engagement et non de leur paiement ou encaissement. Il est certain que ce découpage en périodes successives d'un an n'est pas réaliste : la vie réelle d'une entreprise est continue, elle ne s'arrête pas à chaque fin d'année. Mais pour des raisons pratiques, notamment les échéances fiscales, ce découpage permet une mise au point sur l'activité passée. Ce principe peut coexister avec l'Image fidèle en considérant que la réalité devant être transcrite dans les comptes est annuelle. Il semble important de noter qu'il apparaît difficile d'obtenir une Image fidèle à date fixe : du 31 décembre d'une année à la date de présentation des comptes à l'assemblée des actionnaires ou associés, des événements peuvent survenir et modifier la réalité représentée par les comptes. Par ce fait les comptes fidèles, en fin d'année, ne le sont plus par la suite. En fait, l'important est qu'un lien logique et correct soit établi entre les réalités successives et ceci durant toute la vie de l'entreprise.

6 - le principe de non compensation : art 13 du code de commerce "aucune compensation ne peut être opérée entre les postes d'actif et de passif du bilan ou entre les postes de charges et de produits du compte de résultat". Le but premier serait l'exhaustivité des informations données. Cependant la compensation est permise dans le cas où la réalité de l'opération l'exige. Il est important de noter que la notion de compensation permet de dégager une comptabilité où l'intention est la base de l'appréciation de la réalité économique des opérations effectuées. En fait la compatibilité du principe de non compensation avec l'Image fidèle dépend du contexte dans lequel il est appliqué.

La IVème Directive, en introduisant la notion d'Image fidèle, a provoqué une situation où le cadre comptable français devra passer par une profonde remise en question afin de retrouver cohérence et harmonie. Les développements qui précèdent relatent des rapports "conflictuels" avec certains principes comptables, traditionnelllement appliqués partout. Le plus incompatible est celui du coût historique, puis, à un degré d'incompatibilité moins fort, le principe de prudence, enfin, sous les conditions d'harmonie énoncées dans chaque présentation, les principes de non compensation, de permanence des méthodes, de continuité d'exploitation, et de spécialisation des exercices. Ces quatre derniers éléments font partie de l'ensemble des "compatibles", dont le sens et la portée demeurent indépendamment du concept d'Image fidèle. Les deux premiers nécessitent des réaménagements. Il est vrai que de grands groupes ont adopté d'autres modèles d'évaluation (coût de remplacement, coût indexé sur un indice général). Pour des raisons de difficulté de mise en oeuvre des méthodes, d'audit difficile.., ces évaluations sont remises en cause. Elles sont lourdement gérables sur le plan pratique, mais sur le plan théorique, elles répondent mieux que le principe du coût historique aux exigences de fidélité. C'est dans leur direction que devrait être recherché un substitut au nominalisme monétaire. De plus la philosophie du droit français en est, entre autres, imprégnée : le droit a absorbé ce principe et les "plus-values" sur éléments d'actif sont fortement taxées sur la base des écarts de réévaluation. L'administration fiscale prouve encore son influence néfaste sur la diffusion des informations comptables et financières. En effet, compte tenu de l'absence d'incitation, et de la préoccupation première des entreprises, au détriment du réalisme, de payer moins d'impôts, rares sont celles qui adoptent un modèle d'évaluation différent du coût historique. Quels changements seraient alors nécessaires, au niveau des principes, pour aboutir à un cadre comptable plus cohérent ?

Rappelons les limites de l'outil comptable et les objectifs de toute information financière et comptable afin que le shéma proposé soit le plus réaliste possible.

La technique comptable ne parvient pas encore à traiter certaines opérations :

- les opérations de nature conditionnelle : les ventes avec réserve de propriété ;

- le traitement de l'inflation, ce qui explique la lourde mise en oeuvre et à terme l'abandon des méthodes par certaines entreprises ;

- l'actualisation dans le temps ;

- les contraintes liées au crédit-bail....

La liste est incomplète et témoigne du vaste champ de recherche offert aux chercheurs en comptabilité. Ces limites sont autant de barrières rendant difficile la traduction fidèle de toute réalité. Ces faiblesses sont universelles, ce qui explique l'existence d'instances mondiales de professionnels, de chercheurs, dans le domaine de la comptabilité. A l'échelle française, la structure et la dépendance du droit comptable constitueraient des entraves supplémentaires.

Après cet aperçu sur les faiblesses de l'outil comptable, il semble important d'apporter des précisions à la notion de fidélité :

l'approche de ce concept est à faire à deux niveaux. Au premier niveau, les concepteurs des comptes proposeraient des informations reflétant les événements réellement survenus dans l'entreprise, ceci avec des méthodes d'évaluation et de présentation compatibles avec la finalité actuelle des documents comptables. Au deuxième niveau, la fidélité n'a de sens que s'il existe une parfaite adéquation entre les informations diffusées par les professionnels dans les documents comptables, d'une part, la compréhension et la satisfaction du lecteur des comptes d'autre part. Dans le meilleur des cas ce dernier doit être averti, c'est-à-dire conscient des conventions adoptées et des limites de l'outil comptable, afin de relativiser son opinion sur la situation de l'entreprise. Le concepteur des comptes doit avoir présent à l'esprit, non seulement la prise en compte régulière et sincère de toutes les opérations effectuées, mais également, les besoins d'informations de tous les utilisateurs des documents comptables.

En effet, l'information financière doit :

- fournir une information nécessaire à la prise de décision qui varie selon les besoins des destinataires ;

- satisfaire les principaux destinataires qui sont essentiellement les investisseurs et les bailleurs de fonds actuels et potentiels, car ils sont, par nature, liés à la survie de l'entreprise, côté ressource ou emploi ;

- satisfaire les créanciers en fournissant des renseignements sur la solvabilité, la liquidité, et les mouvements de fonds ;

- être à la portée de tout lecteur ayant des notions sur la marche des affaires et sur l'économie en général et soucieux d'étudier les informations fournies avec une diligence suffisante ;

- permettre d'identifier et d'analyser les événements exceptionnels pouvant influencer la marche de l'entreprise ;

- permettre à tout lecteur d'éclairer son jugement par des commentaires et explications en marge du bilan, du compte de résultat, ce qui justifie le caractère indispensable de l'annexe.

Compte tenu des objectifs définis, du domaine de la gestion, de la finance bancaire ou de marché, la comptabilité se devrait d'écarter toute considération fiscale.

Un shéma de cadre comptable peut alors être proposé, conforme à l'objectif général de l'outil comptable : le don d'Image fidèle, et la prise en compte des besoins d'une demande plus économique et financière, mise en relief dans l'énoncé des objectifs de l'information comptable et financière.

Shéma comptable de type déductif

POSTULAT

IMAGE FIDELE

PRINCIPES LIES AU CADRE D'ENSEMBLE

continuité

+ permanence

+ non compensation

+ prééminence de l'apparence sur la forme

+ importance relative

PRINCIPES D'EVALUATION

coûts indexés sur l'inflation

DROIT COMPTABLE

traités internationaux

+ code de commerce

+ P.C.G. + jurisprudence

+ doctrine

Le cadre proposé répondrait aux besoins d'informations comptables et financières, et, aux besoins d'amélioration de l'outil comptable :

- la législation comptable nationale serait reformulée en vue de rendre applicable le cadre théorique formé d'un postulat (Image fidèle) et d'un ensemble de principes en accord avec ce postulat ;

- le principe du coût historique est abandonné, le principe dominant étant l'intégration des variations de prix dans l'évaluation des éléments du patrimoine ;

- le principe de prudence ne figure pas dans ce shéma car il nécessiterait une reformulation. En effet le sens majeur de prudence deviendrait attention, comme celle d'un bon père de famille qui ferait un compte rendu exhaustif en mettant en garde. Par exemple, les gains latents seraient mentionnés dans les comptes annuels, mais de par leur caractère incertain mettraient en garde tout lecteur qui relativiserait alors son jugement. L'important serait que le concepteur des comptes ne commette pas d'omissions pour des raiisons juridiques. La représentation d'un bois se fait de façon globale et non végétation par végétation, et si cette photographie encadre tout le bois, des zones moins feuillues que d'autres sont alors visibles. Sans connaître la véritable nature de ces zones, l'opinion portée sur la qualité du bois serait approximative mais pas fausse ;

- deux principes sont rendus explicites et présents dans l'ensemble du shéma : la prééminence de la réalité sur l'apparence et l'importance relative. Le premier occasionnerait une profonde réforme de l'esprit du droit français où figure le puissant "droit de propriété", très présent en comptabilité, ainsi que la hantise des dividendes fictifs. Ceci reviendrait à redéfinir, sur le plan juridique la nature de l'entreprise ;

- le code général des impôts n'a plus sa place, ce qui ne signifie pas que l'entreprise n'ait plus d'obligation fiscale. La différence est que les documents présentés aux assemblées et publiés répondraient aux règles comptables alors que les obligations fiscales figureraient à part. Ceci signifierait aussi la fin de tout poste, aussi bien au compte de résultat qu'au bilan, n'ayant pas un lien direct avec la réalité économico-financière de l'entreprise.

Ainsi tout en gardant sa hiérarchie le cadre juridique français, au niveau des textes les plus forts, intègrerait davantage les travaux des professionnels, plus susceptibles d'appréhender la réalité du monde de l'entreprise, côté offre et côté demande d'informations comptables. Cependant ne pas mentionner quelques effets pervers possibles, du climat socio-économique actuel, serait une regrettable omission. Le comportement des entreprises en période de crise pourrait constituer un frein à la généralisation d'un cadre comptable guidé par l'image fidèle. Les entreprises risqueraient de favoriser leurs problèmes au détriment de l'éthique impliquée par ce type de concept : afin de rassurer les actionnaires, un gonflement artificiel des résultats serait, par exemple, opéré. La priorité donnée au profit rend désagréable le compte-rendu d'une situation désastreuse, le "mensonge" deviendrait alors tentant. En effet l'encadrement moins lourd, émergeant du cadre proposé, pourrait engendrer des comportements abusifs, inspirés par une impression de liberté. Là se situe peut-être une limite à davantage d'autonomie laissée à des professionnels habitués à une structure beaucoup moins souple. Ce serait un mauvais côté de l'adoption de nouvelles structures par un monde empreint, depuis des siècles, d'habitudes différentes. En dépit de tous ces risques, la voie du cadre conceptuel paraît séduisante, dans la mesure où l'adoption de la IVème Directive européenne est irréversible.

CONCLUSION

En définitive, cette étude met en relief un revers de l'harmonisation comptable, et, dans une certaine mesure fait prendre conscience du risque de déséquilibre d'un environnement lorsqu'il n'est pas tenu compte des différences culturelles. Le shéma proposé n'illustre pas un "impérialisme" comptable anglo-saxon, mais une adaptation de la notion d'Image fidèle au cadre conceptuel français (même implicite) et vice-versa. En effet la structure du cadre juridico-comptable n'est pas modifiée sur la forme mais sur le fond : la législation nationale s'inspirerait du shéma proposé, en harmonie avec l'Image fidèle. Cette dernière deviendrait une notion permanente, trouvant pleinement son sens en toute situation et non seulement dans des cas "exceptionnels".


BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

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Articles

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. Exposé des motifs de la proposition de IVème Directive, Bull. CE, SUPPL. 7/71, page 34.


NOTES

1. Les trois bases de ce fonctionnement sont : l'exercice des activités dans des conditions juridiques comparables par des sociétés de même nature juridique, la transparence des activités et la protection des associés et des tiers, l'équivalence des informations émises par les sociétés permettant le libre jeu de la concurrence sur le marché financier.

2. Lors de la première table ronde, organisée par les membres de l'association "Dauphine Compta 124", sur l'Avenir de la normalisation comptable française, monsieur Jean-Paul MILOT, Secrétaire Général du C.N.C., a émis des réserves sur la possibilité de "rendre officiel un cadre conceptuel issu de travaux de recherche ou adopté après un débat...". Bien qu'il n'ait fait preuve d'aucune hostilité envers l'idée d'un cadre conceptuel explicite, selon lui, "se poserait le problème du statut de ce document dans le processus de normalisation français...". L'intérêt de la question, débutant la réflexion, réside dans l'harmonie du cadre comptable. En effet, cette qualité est aussi souhaitable dans un cadre implicite que dans un cadre explicite.

3. C'est une loi rectificative des textes antérieurs. Les références en droit comptable sont le code de commerce, la loi sur les sociétés commerciales du 24 juillet 1966, la loi sur les sociétés civiles autorisées à faire appel public à l'épargne n°70-1300, avec les aménagements apportés par la loi rectificative. Cette loi s'applique aux comptes annuels des sociétés de capitaux.

4. Il est antérieur à la loi du 30 avril 1983 et possède un support juridique différent : la loi du 28 décembre 1959. A propos de l'Image fidèle l'énoncé est le suivant "A l'effet de présenter des états reflétant une image fidèle de la situation et des opérations de l'entreprise, la comptabilité doit satisfaire, dans le respect de la règle de prudence, aux obligations de régularité et de sincérité".

5. "Les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise".

6. Le code de commerce dans son article 12, et, l'article 1895 du code civil "l'obligation qui résulte du prêt d'argent, n'est toujours que la somme numérique énoncée au contrat. S'il y a eu augmentation ou diminution d'espèces avant l'époque du paiement, le débiteur doit rendre la somme numérique prêtée, et ne rendre que cette somme dans les espèces ayant cours au moment du paiement".

7. Norme IASC 1 "Les transactions et les autres événements de la vie de l'entreprise doivent être enregistrés et présentés conformément à leur nature et à la réalité financière sans s'en tenir uniquement à leur apparence juridique".

8. Norme IASC 1 "Les états financiers doivent révéler toutes les opérations dont l'importance peut affecter les évaluations et les décisions".