LE CAPITAL RISQUE EN FRANCE
Principes et bilan

Francis TABOURIN


Maître de Conférences Université Paris Dauphine
CAHIER DE RECHERCHE N° 8901

SOMMAIRE

INTRODUCTION

I. DEFINITION ET ORIGINE

I.1. Le concept de capital-risque

I.2. Les stades d'intervention du capital-risque

II. LES STRUCTURES DU CAPITAL RISQUE-FRANCAIS

II.1. Les Sociétés Financières d'Innovation (SFI)

II.2. Les Instituts Régionaux de Participation (IRP)

II.3. Les Fonds Communs de Placement à Risques (FCPR)

II.4. Les sociétés de capital-risque (SCR)

III. L'ACTIVITE DES ORGANISMES DE CAPITAL-RISQUE

III.1. La prospection

III.2. La sélection des affaires

III.3. Montant et forme des interventions

IV. ANALYSE CRITIQUE : INSUFFISANCES ET BESOINS

IV.1. L'absence de prospection active

IV.2. Un processus de sélection inadapté

IV.3. Un faible engagement

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE


INTRODUCTION

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Les petites et moyennes entreprises sont devenues une composante essentielle de notre tissu économique. Mais celles-ci ont toujours eu du mal à s'insérer dans le système financier classique , ce qui les conduit souvent à souffrir d'une sous-capitalisation qui a été mise en relief à plusieurs reprises: on citera pour mémoire le rapport Delorozoy et le rapport Dautresme .

Afin d'assurer le développement de ces entreprises, de nouvelles formes de financement ont été progressivement mises en place. C'est dans ce cadre que s'inscrivent l'apparition et la croissance du capital-risque français qui se voudrait une réponse aux besoins de financement en fonds propres des PME, renforcés depuis 1981 par la hausse des taux d'intérêt réels.

Dans un contexte où le discours sur le capital-risque tend à laisser penser qu'il existe une offre large, on s'attachera notamment à étudier l'adéquation de celle-ci à la demande en termes quantitatifs et qualitatifs. On s'interrogera aussi sur le niveau de risque pris par les intervenants en matière de sélection des entreprises et de modalités financières d'investissement

Dans un premier temps, nous nous attacherons à resituer historiquement le capital-risque contemporain, en rappelant les grandes lignes du modèle américain .

Ensuite, nous présenterons le capital-risque français, nous exposerons les structures juridiques et fiscales de celui-ci, lesquelles sont caractérisées par une certaine diversité, reflet d'une construction progressive.

Puis nous analyserons l'activité des organismes de capital-risque français, au niveau de leur mode de fonctionnement et à celui de leur action.

Enfin, nous dresserons un tableau critique en termes d'insuffisances, en recherchant les causes de celles-ci, et de propositions.

Au-delà des sources bibliographiques disponibles, ce travail s'appuie sur l'étude de rapports d'activité d'organismes de capital-risque et sur différents entretiens avec des chargés d'affaires.

I. DEFINITION ET ORIGINE

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I.1. Le concept de capital-risque

Le capital-risque contemporain s'est développé aux Etats-Unis vers les années 1945. Il a connu un véritable essor à partir de 1950 sous le nom de venture capital , lorsque l'industrie électronique a inondé le monde de ses nouveaux produits (semiconducteurs, ordinateurs, instrumentation...).

Dès 1958, le Small Business Investment Act codifie les pratiques disparates des Venture Capital Companies et établit les Small Business-Investment Companies (SBIC). Cette formule était assortie d'un certain nombre d'avantages financiers et fiscaux . Il faudra cependant attendre le train de mesures fiscales libérales de 1978, comme la réduction de l'imposition des plus-values et l'assouplissement des règles de gestion des caisses de retraite, pour assister à un véritable décollage du capital-risque. De 1979 à 1983, le volant de capital risque a été multiplié par six pour dépasser les 2 milliards de dollars et dès lors, le monde s'est tourne vers le " modèle " américain. Au-delà des mesures fiscales et financières qui ont conduit à dégager des capitaux, on ne peut dissocier cette explosion du capital-risque américain du développement de nouveaux créneaux (High Tech) potentiellement rémunérateurs et surtout de la compétence et de l'engagement des nouveaux prêteurs, points sur lesquels nous reviendrons .

Malgré la diversité des approches, on peut retenir trois traits essentiels qui permettent de caractériser le capital-risque selon le modèle américain :

- le capital risque constitue un apport en fonds propres dans une PME naissante ou en développement, présentant des perspectives aléatoires de croissance.

- le rôle de l'investisseur ne se limite pas à un simple apport, il remplit aussi une mission de conseil en jouant le rôle de partenaire actif et s'implique dans la gestion de l'affaire, il doit avoir une attitude hands on .

- l'activité de l'entreprise est orientée vers un projet novateur, l'exemple de la Silicon Valley est sur ce point le plus illustrateur et l'investisseur s'attache plus à des critères de décision qualitatifs que quantitatifs.

A contrario du banquier traditionnel qui cherche de véritables garanties et s'assure de la liquidité de ses placements au moment des échéances de ses remboursements, l'investisseur en capital-risque devrait être un véritable partenaire de l'entreprise partageant les risques de lancement, développement et les profits, en cas de succès.

Le modèle américain est caractérise par un capital-risque actif en contraste avec la moyenne des pratiques françaises, comme nous le verrons.

I.2. Les stades d'intervention du capital-risque

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L'injection de capital-risque dans une entreprise peut avoir lieu à tout moment de la vie de celle-ci. Il est courant de différencier le stade d'intervention des organismes de capital-risque suivant la courbe de vie de l'entreprise :

- la première étape de conception se caractérise par le financement de semences, le "seed financing" anglo-saxon ("seed money"). Le "venture capitalist" investit alors sur un projet, une équipe, c'est à ce stade que le risque est toujours le plus fort.

- A l'étape de la naissance correspond le financement de création, le "start up", allant de la mise en oeuvre de la production jusqu'à la mise sur le marché.

- En cas de succès, suit alors la phase de croissance, l'entreprise connaît alors un besoin important de fonds propres pour financer son développement.

- Le décollage correspond en général à la dernière augmentation de capital avant l'introduction en Bourse. L'entreprise a atteint une taille largement suffisante mais doit renforcer sa structure financière avant de faire appel prochainement au marché financier (on parle parfois de phase de la mezzanine).

- Enfin, la période de maturité peut correspondre à une introduction en Bourse. L'entreprise se doit alors de préserver ses acquis. Cette étape correspond au retrait de l'apporteur de capital-risque qui cède ses parts .

II. LES STRUCTURES DU CAPITAL RISQUE-FRANCAIS

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Contrairement aux Etats-Unis où il s'est développé par le jeu d'investisseurs privés, en France, le capital-risque a dû son essor à l'action des pouvoirs publics. Ceci tardivement puisqu'il a fallu attendre le début des années 1970 pour que soit bâti le premier cadre juridique du capital-risque français. Aujourd'hui, le marché du capital-risque se caractérise par la multiplicité des intervenants et la diversité des statuts.

II.1. Les Sociétés Financières d'Innovation (SFI)

Les SFI furent créées par la loi du 11 Juillet 1972, qui définissait comme suit leur objet :

Faciliter en France la mise en oeuvre industrielle de la recherche technologique ainsi que la promotion et l'exploitation d'inventions portant sur un produit, un procédé ou une technique, déjà brevetés ou devant l'être, qui n'ont pas encore été exploités ou qui sont susceptibles d'applications entièrement nouvelles". La plus ancienne d'entre elles est SOFINNOVA (créée par le Crédit National). Afin de pouvoir bénéficier d'un certain nombre d'avantages fiscaux et financiers, ces sociétés doivent se plier à certaines contraintes :

- Elles doivent, à terme, investir au moins 80 % de leur capital dans des sociétés innovatrices (respectant en cela leur objet) réalisant un chiffre d'affaires au maximum de 50 MF et n'étant pas contrôlées à plus de 50 % par des sociétés dépassant ce plafond.

- Elles sont obligées de renouveler périodiquement leurs investissements et, à l'expiration de chaque période triennale, elles doivent avoir désinvesti au minimum 33 % du capital aliéné depuis 6 ans au moins, à l'ouverture de la période.

- Leur capital doit être au minimum de 10 MF et aucun des apporteurs ne doit détenir plus de 30 % de celui-ci.

- En contrepartie, les SFI bénéficient d'une garantie gratuite de la SOFARIS (Société Française pour l'Assurance du Capital-Risque des PME), société d'économie mixte créée par l'Etat en 1982 afin de lui faire jouer le rôle d'assureur des pourvoyeurs de capital-risque . Leurs actionnaires bénéficient aussi d'un amortissement fiscal exceptionnel de 50 % si les titres sont détenus plus de trois ans, et de la non-imposition de la plus-value provenant de la cession d'actions dans la limite du dit amortissement exceptionnel (ce système ayant pour fonction de réduire. les risques des apporteurs de capitaux). Cependant les SFI sont assujetties à l'impôt sur les sociétés et ce régime n'est intéressant que pour les sociétés ne dégageant pas ou peu de bénéfices Actuellement, il existe une quinzaine de SFI, certaines ayant déjà opté pour le régime des sociétés de capital-risque que nous présenterons plus avant.

II.2. Les Instituts Régionaux de Participation (IRP)

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En réaction à la quasi-absence de capital-risque accessible aux PME installées en province, furent crées les IRP, Il n'y a jamais eu à proprement parler de loi créant ces organismes mais plutôt une succession de conventions signées par l'Etat, au fur et à mesure de l'apparition de ceux-ci. Le premier d'entre eux, la Société de Participation dans les Entreprises Régionales en Expansion (SIPAREX) fut créé à Lyon fin 1977 . Leur champ d'application est général et leur zone d'activité se veut bien sûr régionale; parfois, ils agissent en association avec d'autres organismes (SFI, SDR ...). Ils interviennent généralement dans des entreprises ayant un effectif supérieur à cent salaries et réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions de Francs; toutefois, ils ne peuvent détenir plus de 35% du capital d'une même société (et une même participation ne peut représenter plus de 85 % du capital de l'IRP). Chaque convention étant spécifique, le seul point commun est la transparence fiscale qui entraîne l'exonération de l'impôt sur les sociétés des revenus provenant des produits nets, des plus-values réalisées sur la vente d'actions et des revenus de placements "en attente d'investissement". De plus, comme les SFI, les IRP peuvent bénéficier du Fonds de garantie géré par la SOFARIS. En contrepartie, ils ont pour obligation de distribuer une part importante de leurs résultats (60 %). Comme nous allons le voir, le statut des IRP était en fait assez proche de celui retenu pour les sociétés de capital-risque; du reste, presque tous les IRP ont opté pour ce nouveau régime fiscal à partir de 1986, Nonobstant ce changement de régime, on dénombre actuellement quatorze IRP. Notons que ces organismes interviennent assez peu au niveau du démarrage de l'entreprise mais contribuent surtout à des opérations de développement.

II.3. Les Fonds Communs de Placement à Risques (FCPR)

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Ils ont été créés par la loi du 3 Janvier 1983 sur le développement des investissements et la protection de l'épargne. Les FCPR sont, comme tous les Fonds Communs de Placement (loi du 13/7/79), des copropriétés de valeurs mobilières. Ces Fonds sont gérés par des sociétés de gestion (elles-mêmes souvent filiales de banques) qui font l'objet d'un agrément accordé par le Ministère de l'Economie et des Finances, après avis de la Commission des Opérations de Bourse. Chaque Fonds revêt ses propres caractéristiques quant à sa zone d'action ou son champ d'activité ; ils pratiquent aussi bien le capital-développement que le "venture capital" dans les sociétés en phase de démarrage.

Ces Fonds doivent répondre à certaines contraintes et notamment avoir investi au minimum 40 % de leur actif dans des sociétés non admises à la cote (de plus un FCPR ne peut détenir plus de 10 % de titres d'une même société).

Les gérants sont responsabilisés par l'obligation de détenir en permanence un pourcentage des parts. Les FCPR bénéficient de la transparence fiscale. L'investisseur voit son argent indisponible pendant un minimum de trois ans. S'il s'agit d'une personne physique et que celle-ci conserve ses parts pendant cinq ans, elle bénéficiera d'une exonération de taxation sur les plus-values réalisées . Dans les autres cas, les plus-values sont taxées selon le régime"normal.

La règle qui paraît a posteriori la plus contraignante concerne, le délai d'un an autorisé pour que les actifs soient constitués à hauteur de 40 % d'investissements en capital-risque. L'expérience a montré que peu de Fonds avaient atteint ce taux dans les délais, ils avaient dû détourner l'esprit de la loi en achetant des titres du hors-cote ou des titres participatifs de sociétés, nationalisées. Nous allons voir que le cadre juridique des sociétés de capital-risque fait preuve sur ce point de plus de réalisme. En revanche, les FCPR peuvent investir dans des sociétés non françaises y compris des affaires inscrites par exemple à l''over the counter" (OTC) américain ou le "Unlisted Stock Market" (USM) britannique.

Un bilan dressé début 1986 dénombrait plus de soixante FCPR dont le total des actifs dépassait le milliard de Francs. Ces chiffres recouvrent une grande diversité de stratégies de placement: certains Fonds s'écartent franchement du capital-risque et préfèrent maximiser de façon plus certaine leur rentabilité, via des prises de participation dans des sociétés en phase de croissance ou de décollage; nous reviendrons plus avant sur ce problème.

II.4. Les sociétés de capital-risque (SCR)

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Le statut des SCR se situe clairement dans le cadre de l'émergence d'une activité de capital-risque ayant pour ambition de réaliser des profits et constitue une incitation dans ce sens. Son élaboration autour d'un statut fédérateur a bénéficié de l'expérience déjà acquise avec les formules antérieures . Les SCR ont été définies par l'article 1 de la loi du 11 Juillet 1985 : leur situation nette comptable doit être représentée de façon constante à concurrence d'au moins 50 % de parts, actions, obligations convertibles ou titres participatifs de sociétés françaises dont les actions ne sont pas admises à la cote . Ce taux doit être atteint dans un délai de trois ans; afin d'accroître encore la souplesse du mécanisme, les actions détenues d'une société succédant à la cotation continuent à être prises en compte durant cinq ans. Par ailleurs, il existe une limite de prise de participation dans une affaire (40 %), l'esprit étant d'éviter que les SCR soient utilisées à des fins de contrôle de sociétés. De plus, pour éviter une focalisation du risque, une SCR ne peut pas employer en titres d'une même société plus de 25 % de son capital.

En échange de ces contraintes, les SCR bénéficient de l'exonération de l'impôt sur les sociétés sur les produits et plus-values nets, provenant de titres des sociétés non cotées, ainsi que sur les produits et plus-values nets d'autres placements dans la limite du tiers du portefeuille de titres de sociétés non cotées. Les actionnaires, personnes physiques, des SCR peuvent bénéficier d'une exonération totale sur les distributions de produits et plus-values nets exonérés pour la SCR. Ceci, à condition de conserver leurs actions pendant au moins cinq ans, de réinvestir dans la SCR immédiatement les produits distribués pendant cette période, et de ne pas détenir plus de 25 % des droits dans une société financée par la SCR. A l'instar des SFI et des IRP, les SCR peuvent souscrire une convention avec la SOFARIS afin de se garantir.

La formule adoptée pour les SCR se veut très souple tout en offrant les principaux avantages des autres statuts, elle opère par séduction, le but étant d'obtenir un ralliement progressif des IRP et des SFI. Dans la pratique, les sociétés relevant d'autres statuts attendent de dégager des résultats bénéficiaires pour adopter le statut de SCR qui devient alors fiscalement plus avantageux.

III. L'ACTIVITE DES ORGANISMES DE CAPITAL-RISQUE

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Le marché du capital-risque français concerne aujourd'hui près de 140 organismes, tous statuts confondus . L'acceptation du terme capital-risque est dans le cas français très large: elle recouvre de façon générale les capitaux à la recherche d'investissements à risque assortis de gains potentiels élevés . Il n'est pas fait explicitement référence à un stade d'intervention donné, à une technologie nouvelle, à un mode de prise de participation, comme dans le cas du modèle américain, même si, comme nous l'avons vu, les statuts juridiques et fiscaux des intervenants les y obligent partiellement, ceux-ci disposent d'une certaine liberté . D'où une ambiguïté, qui conduit certains à voir du capital-risque partout et d'autres à affirmer qu'il n'existe en France qu'une offre faible. Il en résulte une impossibilité de chiffrer avec précision le montant de l'offre française de capital-risque, tout au plus peut-on avancer une estimation, autour de 3 milliards de francs . Précisons dès à présent que ce chiffre issu d'une définition large du capital-risque ne doit pas faire illusion, comme nous le verrons. Analyser les activités des organismes de capital-risque est une tâche difficile, vu le secret qui entoure souvent leurs actions; on ne peut cependant comprendre les limites et causes du système français qu'en connaissance de ses règles de fonctionnement .

III.1. La prospection

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Les organismes de capital-risque ont quatre sources de prospection: en premier lieu, les relations avec leurs actionnaires principaux, soit des banques dans la plupart des cas; viennent ensuite les prescripteurs institutionnels. Ces prescripteurs sont des organismes publics ou para-publics (par exemple l'ANVAR, les CCI ...) ayant une activité complémentaire et étant souvent sollicités par les entreprises, ce qui permet la constitution d'une importante base de prospects.

Ces deux principales sources faisant ainsi l'objet d'une intermédiation, elles représentent près de la moitié des dossiers traités avec un poids marqué des banques. On peut relever, à titre de comparaison, qu'aux Etats-Unis, le rôle des banques est beaucoup plus faible (6 %).

Viennent ensuite les propositions spontanées de la part d'entrepreneurs demandeurs (près du quart des dossiers), tandis que la prospection "active" des chargés d'affaires ne génère qu'environ un sixième des dossiers. Restent les sources diverses : par exemple, pour des montants d'intervention projetés importants (supérieur à 2 MF), il arrive souvent qu'un organisme présente l'affaire à un ou plusieurs autres intervenants, en vue de la constitution d'un "pool".

III.2. La sélection des affaires

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Il faut remarquer qu'une faible part des dossiers étudiés fait l'objet d'une décision favorable: selon les organismes" les taux qui nous ont été communiqués sont de 5 à 15 %.,au maximum. Le mécanisme de décision repose sur un. arbitrage, risque/rentabilité. L'usage veut que l'entrepreneur présente aux investisseurs un "business plan", qui est un plan de développement à cinq ans. On note d'emblée que les décideurs préfèrent s'en tenir à des données certaines; ceci les conduit à adopter deux lignes directrices: d'une part, privilégier la qualité de la gestion à la recherche et développement, d'autre part favoriser les projets de développement par rapport aux projets de création.

L'importance de la qualité de la gestion a été mise en avant par plusieurs études : on finit davantage par juger les hommes que le projet. L'aspect éventuellement innovant de celui-ci est repousse à l'arrière-plan; du reste, plusieurs SFI ont choisi le statut de SCR afin de se libérer des contraintes tenant à la composition de leur portefeuille sur ce point.

La tendance à favoriser les projets de développement par rapport aux créations renvoie pour partie au premier point, mais il permet aussi d'utiliser des outils d'analyse complémentaires, tels le crédit-fournisseurs, la valeur ajoutée et le résultat disponible, la position sur le marché, le niveau de diversification, l'aptitude à la cotation...

Le cas le plus défavorable consiste en un projet innovant technologiquement, dans le cadre d'une création d'entreprise. En effet, au risque du projet en lui-même s'ajoute celui inhérent à la création de toute entreprise.

La résultante d'une telle démarche est la suprématie des interventions en phase de développement (65 %), au détriment de l'aide à la création d'entreprise (cf. graphique 1 p. suiv.). Au niveau du secteur d'activité, on note que les organismes sont plutôt tournés vers le secondaire (comme le montre le tableau 1 obtenu par rapprochement des résultats publiés dans les rapports d'activité des organismes étudiés). On retrouve là à la fois la trace du passé - historiquement ces organismes furent souvent créés dans le but de financer l'industrie - et à nouveau le désir de minimiser les risques, le tertiaire étant considéré comme plus aléatoire

III.3. Montant et forme des interventions

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L'engagement moyen par intervention est très variable d'un organisme à un autre : il va de 0,6 MF pour SOGINNOVE à plus de 2 MF pour des organismes importants comme SOFINNOVA. On observe dans tous les cas une stratégie de dilution du risque matérialisée par une part importante des petites interventions (<1MF) représentant généralement près de la moitié du portefeuille. A l'opposé, les interventions supérieures à 5 MF sont rares. Globalement, on relève que le nombre total annuel d'interventions par organisme est faible (quelques dizaines) ; si le nombre d'intervenants est en contrepartie élevé comme nous l'avons vu (près de 140), il n'en demeure pas moins que la quantité totale d'entreprises bénéficiaires ne fait qu'avoisiner les 2000. L'instrument financier choisi est généralement la prise de participation via l'actionnariat (cf. Tableau 2), en moyenne dans les trois quarts des cas. Les obligations convertibles sont cependant retenues lorsque les possibilités de sortie apparaissent comme très incertaines. Si aucune possibilité de sortie ne se dégage, l'investisseur conserve les obligations qui lui seront remboursées à l'échéance. Dans l'autre cas, il les transforme en actions et réalise une plus-value en capital.

L'option en faveur d'obligations convertibles peut aussi résulter d'un choix concerté ; dans certains cas, les actionnaires des entreprises financées sont réticents à une ouverture instantanée de leur capital à un étranger", et l'émission de telles obligations répond à ce désir d'ouverture progressive à l'investisseur.

- Enfin, on rencontre des interventions diverses, généralement sous forme de prêts, parfois participatifs , formule inspirée de la technique des prêts subordonnés utilisée aux Etats-Unis .

Au-delà de l'intervention financière, il faut noter la faible coopération dans les opérations de gestion; nous sommes bien loin ici du modèle américain de type " hands on ". Le venture capitaliste français n'apparaît pas comme un partenaire actif s'impliquant dans l'affaire de son protégé ; il est vrai qu'une telle attitude est souvent non désirée de la part même de l'entrepreneur, jaloux de ses prérogatives.

IV. ANALYSE CRITIQUE : INSUFFISANCES ET BESOINS

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De par son mode de fonctionnement, force est de constater que le marché du capital-risque français présente des travers qui orientent l'offre vers une certaine catégorie d'entreprises et conduisent à des modes d'intervention caractérises par un faible niveau d'implication. L'important n'est pas de s'interroger sur un potentiel exprime en milliards et d'en conclure à la pléthore ou à l'insuffisance, mais de raisonner en taux d'adéquation. Si l'on veut bien admettre que le capital-risque a un rôle important à jouer dans l'optique du développement économique, rôle que l'on pourrait presque qualifier de social, il convient alors d'étudier les sources de dysfonctionnement et d'émettre des propositions.

IV.1. L'absence de prospection active

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Nous avons vu que la détection des affaires était très institutionnalisée, la prospection 'active ne caractérisant qu'un sixième des affaires. Environ la moitié des dossiers transite par un organisme bancaire traditionnel et ce système-écran favorise les sociétés déjà existantes au détriment des créations. Cette faiblesse de la prospection directe est un des deux facteurs explicatifs de la proportion réduite des investissements dans des sociétés en création, le processus décisionnel, sur lequel nous allons revenir, étant l'autre. La pénurie de projets est souvent soulignée par les organismes de capital-risque, mais ceux-ci oublient que leur attitude d'offreurs passifs ne peut suffire sur un marché qui est loin d'être transparent. Plusieurs rapports ont souligné le manque d'information dont souffre le créateur d'entreprise (surtout en province) ; le marché financier lui apparaît comme une nébuleuse et il ne dispose du reste généralement pas du temps nécessaire à son exploration. Les chargés d'affaires des organismes de capital-risque devraient (être investis davantage d'une mission de prospection et de détection. Il faudrait promouvoir l'offre notamment au niveau régional. Face à ces remarques, les organismes de capital-risque ne manquent pas d'objecter le coût élevé du traitement d'un dossier, lequel peut atteindre plusieurs dizaines de milliers de francs ; en phase de pré-création, il serait en outre quasiment impossible d'identifier un projet. Il est certain qu'une attitude plus prospective entraînerait un accroissement du nombre de dossiers à étudier, lesquels connaîtraient, en l'absence d'intermédiations un taux de rejet plus important, et ce, sans assurer pour autant les opportunités de financement d'ensemencement toujours difficiles à détecter.

Une solution intermédiaire pourrait consister en l'utilisation systématique des organismes Consulaires en tant que vecteurs d'information, comme cela est déjà le cas pour les aides de l'Etat, lors d'une création d'entreprise par exemple. Il est à noter que certaines d'entre elles remplissent déjà ce rôle, mais face à la densité de l'offre (rappelons que le capital-risque français compte près de 140 intervenants) les notes d'information sont rarement exhaustives et renseignent de surcroît peu sur les procédures. Une association comme l'AFIC, déjà citée, aurait là un rôle important à jouer.

IV.2. Un processus de sélection inadapté

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Si les métiers de banquiers et d'investisseurs diffèrent à bien des égards, on observe que beaucoup de cadres d'organismes de capital-risque ont auparavant exercé leur " talent " au sein de groupes bancaires ou financiers. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène :

- d'une part, les liens étroits qui existent entre les organismes et les banques; comme nous l'avons souligné, nombre de groupes bancaires sont à l'origine de la création d'organismes de capital-risque et ceux-ci constituent leurs effectifs en puisant dans le personnel de la "maison-mère"

- d'autre part, certains responsables pensent encore qu'un bon chargé d'affaires doit avoir acquis une expérience de "professionnel" de la banque avant de pouvoir traiter du capital-risque.

Selon nos contacts sur le terrain, cet état de fait est en passe d'évoluer, mais l'héritage du passe est très lourd et pèse sur les pratiques quotidiennes. Cette situation permet notamment de mieux comprendre la logique des processus de décision.

Ainsi que nous l'avons remarque, le décideur cherche plus souvent à minimiser le risque qu'à maximiser le retour sur investissement. Cette logique le conduit à s'écarter des projets de création d'entreprise et des projets novateurs en général, au profit d'interventions en phase de croissance, débouchant si possible sur une perspective de cotation en Bourse.

Certains sont même allés jusqu'à avancer l'hypothèse que le capital-risque français serait sans risque... . Ce jugement apparaît bien sévère dans la mesure où le quart des interventions concerne malgré tout des entreprises en création . Cependant, cette proportion reste faible (à titre de comparaison, elle est de 40% en. Grande-Bretagne), un engagement plus important en " start up " serait souhaitable. Aussi et surtout, les " seed financing " sont quasiment inexistants. Dès lors, la prise en compte de critères de sélection plus larges semble nécessaire; les chargés d'affaires devraient s'intéresser davantage au potentiel économique des projets. En effet, les projets novateurs tournant autour d'une technologie ou d'un produit nouveaux, même présentés par de mauvais gestionnaires a priori, ne devraient pas être rejetés au seul motif qu'ils accumulent les risques. D'ailleurs, on peut s'étonner de l'importance donnée à la qualité de la gestion parmi les critères de sélection, sachant qu'en la matière, rien n'est irrémédiable. Preuve en est le redressement de certaines affaires dont les points forts étaient, par exemple le créneau et la maîtrise technologique d'un procédé. La mise en place d'une telle politique implique un certain niveau de préparation et de formation des chargés d'affaires, lesquels doivent alors acquérir une double compétence financière et économique, afin de pouvoir détecter les projets porteurs.

Certains organismes commencent à prendre une telle orientation ; dès lors, le passage par la banque n'est plus obligé : a contrario, on apprécie alors une bonne connaissance du milieu économique et un esprit d'ouverture. A terme, on peut espérer que s'établira une séparation plus franche entre les investisseurs et les organismes de capital-risque, étape nécessaire afin d'autoriser une approche plus offensive du marché.

IV.3. Un faible engagement

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- Une troisième carence du capital-risque français porte sur les montants et la forme des interventions.

- Relativement au montant, on a pu remarquer une bipolarisation des portefeuilles: d'un coté, on trouve beaucoup de petits financements (environ la moitié des engagements est inférieure à 1 MF) ; de l'autre, on observe quelques rares affaires supérieures à 5 MF. Cette importante proportion de petits engagements qui renvoie généralement à des prises de participation dans des entreprises très jeunes ou en création, correspond, rappelons-le, à une stratégie de dilution du risque et rejoint le point soulevé précédemment. De plus, le taux d'engagement dans le capital d'une même société dépasse rarement 25 % . Face à cet émiettement des participations, on peut parler d'un véritable " saupoudrage ", souvent avec l'agrément des chefs d'entreprise qui ont ainsi l'impression de sauvegarder leur pouvoir... Ces doses homéopathiques ne donnent pas aux entreprises concernées les moyens nécessaires à leur développement et les cantonnent, dans bien des cas, à des projets de faible envergure allant paradoxalement à l'opposé des intérêts de l'investisseur. De surcroît, pour limiter le risque, les venture capitalists français ont fréquemment recours aux actions à dividendes prioritaires, de façon à pouvoir bénéficier d'une rémunération plus assurée; ceci peut apparaître contraire à l'esprit du capital-risque, puisqu'obérant la marge brute d'autofinancement de l'entreprise.

Concernant le montant des interventions, un recentrage semble donc nécessaire, mais ce point est indissociable du suivant: la quasi-absence de partenariat. C'est peut-être sur ce dernier point que le capital-risque français s'écarte le plus de son homologue américain ; une partie des critiques que nous venons de voir en découle.

Comme nous l'avons noté, la majorité des intervenants se contente d'offrir des capitaux de façon passive. Dans le cas de la participation financière, notamment pour les PME, il est vrai que ce non-interventionnisme-est souvent consensuel (certains affichent clairement leur préférence pour les "sleeping partners"), ce qui n'en demeure pas moins regrettable. Au-delà de l'apport de fonds, les PME ont souvent besoin d'être épaulées pour mener à bien leur projet; un partenariat actif calqué sur le modèle américain éviterait sans doute bien des échecs.

Cette passivité a souvent été dénoncée et les organismes intervenants opposent le coût élevé de telles pratiques. I1 est dommage qu'aucune étude sérieuse n'ait été menée sur cette question, car si l'adoption d'une attitude "hands on" a nécessairement un coût, elle n'en serait peut-être pas moins rentable, dans la mesure ou elle contribuerait à infléchir le risque d'échec, surtout dans le cas d'entreprises en création. Au demeurant, l'exemple américain prouve la viabilité d'une telle proposition.

CONCLUSION

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La réalité du capital-risque français semble bien éloignée du modèle américain.

La profession est caractérisée par une pluralité de conceptions, d'objectifs et de stratégies, organisée autour d'un concept flou qui finit. par désigner génériquement des investissements en fonds propres dans des sociétés non cotées.

Globalement, elle demeure encore trop proche de la finance traditionnelle et reste trop souvent un sous-produit de l'activité bancaire :

- Tentés de minimiser le risque, les intervenants pratiquent une politique timide d'engagement qui les conduit en particulier à délaisser les financements d'ensemencement et de démarrage au profit du capital-développement. Rappelons que ces types d'interventions ne représentent que le quart du total et ne concernent donc qu'environ 500 entreprises par an; on peut rapprocher ce chiffre de celui des 80 000 créations d'entreprise annuel enregistré ces dernières années, et affirmer qu'il existe pourtant une demande importante.

Les opérateurs doivent se donner les moyens d'une politique active de prospection orientée vers les PME en phase de démarrage. Il s'agit là surtout d'un état d'esprit car l'exemple américain démontre que ce type d'orientation peut s'avérer rentable. Encore faut-il se doter d'outils d'évaluation pertinents afin de retenir les projets porteurs, reposant sur un marché potentiel et avec des perspectives de développement,

On peut regretter que la mise en place du statut fédérateur des SCR n'ait pas inclu des incitations plus fortes pour les fonds de "seed money" et pour les "start-up".

Relativement aux modalités d'intervention, les opérateurs pratiquent un capital-risque très "passif " qui finit souvent, à la limite, par se rapprocher d'un placement risqué. Nous sommes très loin du comportement "hands on" américain, cette situation reposant malheureusement parfois sur un consensus mutuel, certains entrepreneurs recherchant de préférence des "sleeping partners" pour préserver leurs prérogatives dans une tradition autocratique française...

Cette faible implication est regrettable car le besoin existe, surtout chez les entreprises en phase de démarrage qui, au-delà de l'apport en capital, requièrent une aide à la gestion et des conseils dans l'élaboration de leur stratégie.

De plus, la mise en place d'un tel partenariat actif conduirait les opérateurs à revoir leur pratique courante dite de "saupoudrage" qui, en l'absence d'un réel engagement aux cotés de l'entreprise, permet de minimiser le risque (sans cependant maximiser la rentabilité...), surtout dans le cas des financements de création.

Le réel débat autour du capital-risque français doit porter, en premier lieu, sur les modalités d'exercice de celui-ci car si l'offre et la demande sont importantes, elles ne se rencontrent que difficilement. Dès lors, certaines réorientations apparaissent souhaitables.

L'enjeu est important en termes de développement économique et pour l'avenir même des organismes français de capital-risque.

Dans la perspective du grand marché européen, les carences de l'offre nationale ne manqueront pas d'attirer certains opérateurs étrangers et particulièrement anglo-saxons.


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