LES LOGICIELS D'ANALYSE FINANCIERE : UNE EVOLUTION LIEE AUX ACTIONS DES EDITEURS ET DES UTILISATEURS

FINANCIAL ANALYSIS AND DATA PROCESSING EVOLUTION

Eric Heurtaux

Centre de Recherche Européen en FInance et GEstion

MOTS CLES : Analyse Financière, Informatique, Utilisateur, Logiciel

KEY WORDS : Financial Analysis, Data Processing, User

RESUME : Les logiciels d'analyse financière ont connu un fort développement durant ces dernières années du fait d'une évolution des techniques informatiques, mais également du jeu conflictuel entre les utilisateurs et les éditeurs. Le développement vers l'intelligence artificielle transforme les démarches traditionnelles et rend nécessaire une approche critique vis-à-vis des solutions apportées.

ABSTRACT : Financial analysis software have known a strong development during these last years due to the fact of an evolution of the technical data-processings, but equally of the conflictual relationship between users and publishers. The development to the artificial intelligence transforms traditional steps and necessitates a critical approach.


Le développement rapide de la gestion financière durant les trente dernières années reflète le changement fondamental de la place de l'entreprise au sein de la société. La pratique de l'analyse financière, réservée au départ aux organismes financiers, s'est ainsi étendue à des utilisateurs de catégories de plus en plus importante.

Cet élargissement du champ d'utilisation et le développement de l'informatique, en particulier de la micro-informatique dans toutes les entreprises durant les années 1980, ont permis le développement de l'informatisation de la gestion financière, et notamment de l'analyse financière.

Cette communication pose le problème du rôle, parfois contradictoire des acteurs de l'informatique de gestion sur l'évolution et l'utilisation des progiciels d'analyse financière. Les relations entre éditeurs et utilisateurs, parallèlement à des évolutions techniques toujours croissantes, entraînent une modification des logiques et des fonctions de ces progiciels. Certains concepts, appartenant aux domaines de l'analyse financière et de l'informatique, sont ainsi privilégiés par rapport à d'autres et prennent désormais une place prépondérante.

Une première approche présente l'évolution technique de ces logiciels. Elle met en évidence une relation entre le développement des techniques de l'informatique et les exigences croissantes des utilisateurs. Cette analyse en terme d'évolution des logiciels est très instructive car elle permet de prendre conscience de l'importance des changements vécus et de mieux cerner l'ampleur de ceux à venir.

Ces changements peuvent être justifiés à travers la mise en évidence d'une relation conflictuelle entre les éditeurs et les utilisateurs. Une étude de l'évolution sur cinq années de dix logiciels d'analyse financière a été menée parallèlement afin de montrer les principales fonctions, traditionnelles ou émergentes, de ces logiciels.

I. L'évolution technique des logiciels d'analyse financière face aux besoins croissants des utilisateurs

L'évolution récente des logiciels d'analyse financière peut s'expliquer à travers les transformations techniques et les besoins croissants des utilisateurs.

I.1. Définition des logiciels d'analyse financière

Il apparaît utile dans un premier temps de rechercher des critères précis pour distinguer les logiciels d'analyse financière et ceux appartenant à des domaines proches, en particulier ceux relevant de la gestion financière.

L'analyse financière d'une entreprise conduit à émettre un jugement sur sa santé financière passée ainsi que sur le respect des équilibres estimés nécessaires à la réalisation des performances futures. Il ne faut donc pas confondre les progiciels d'analyse financière et ceux de la prévision et de la planification. En effet, les logiciels orientés vers la prévision n'intègrent pas toujours les informations élémentaires (données quantitatives de production, éléments de base de la rémunération, structure de prix, ...). De même, certains calculs sont parfois négligés (calcul de la Taxe sur la Valeur Ajoutée, frais financiers, ...). Les logiciels orientés vers l'évaluation de l'entreprise ne retiennent pas non plus tous les paramètres (dissociation entre actifs industriels et financiers, plus-values latentes, ...). D'autre part, les rapports produits automatiquement dans ces logiciels n'intègrent que rarement des appréciations.

Aussi les logiciels retenus comme appartenant au domaine de l'analyse financière sont ceux dont l'objectif apparaît être clairement l'élaboration d'états (tableaux, soldes, ratios, ...) ou de commentaires relevant de l'analyse financière.

Cette étude s'intéresse aux logiciels français à caractère commercial et standardisé. Ce qui exclut les produits dits spécifiques, les bases de données proposant des traitements de type financier, et les prestations de conseils aux entreprises assistées par ordinateur.

A partir de catalogues spécialisés dans les logiciels de gestion financière, complétés par la lecture de revues informatiques, un recensement des produits, accompagnés de leurs caractéristiques, nous a permis de suivre l'évolution du marché et du contenu des logiciels d'analyse financière.

On peut constater ainsi l'explosion du marché en terme de volume des logiciels édités. Estimé à une quinzaine de produits au début des années 1990, il dépasse aujourd'hui plus de cinquante références. Dans le domaine de la gestion financière, il demeure une application dominante avec les produits de gestion des immobilisations et des investissements.

I.2. Les différentes techniques de traitement des progiciels d'analyse financière

Les progiciels d'analyse financière peuvent être classés en fonction du processus logique sur lequel ils sont construits. Cette typologie correspond à l'évolution historique des techniques de "programmation" informatique. On distingue : les tableurs, les programmes classiques, les systèmes experts et l'intelligence artificielle avec les réseaux neuronaux.

I.2.1. Les tableurs

Les tableurs sont des feuilles, organisées en cellules, de calculs automatisés. Historiquement, ils ont permis les premiers calculs informatisés en analyse financière. A partir de la saisie de bilans sur une ou plusieurs années, on peut par exemple procéder à une analyse comparative. On peut calculer des soldes, des ratios, des taux d'évolution, effectuer une analyse statique ou encore une analyse prévisionnelle.

Après environ une quinzaine d'années d'application, le tableur reste toujours un outil d'analyse très utilisé. Outre sa capacité d'automatisation des calculs, il comporte des outils de présentation efficaces (encadrement, graphiques, ...).

La principale raison du succès des tableurs tient à leur simplicité d'emploi. Son organisation en cellules sur une feuille de calcul à deux dimensions, sa puissance de formalisation, de calcul et de mémorisation, en font un outil utile et capable de traduire l'expérience de ses utilisateurs. Pour construire des tableaux d'analyse utiles, il n'est pas nécessaire d'avoir d'importants savoirs en informatique, mais davantage de connaissances sur les démarches, méthodes et formules d'analyse financière. L'interactivité et la rapidité ne sont que les moyens permettant cette facilité d'emploi.

Ils autorisent la récupération de travaux antécédents (structure des tableaux, des formules, ...) et la conservation de trace écrite des calculs effectués. Il semble bien que l'emploi de ces outils change le contenu du métier des comptables et des financiers. Le travail de conception des tableaux augmente, et le temps consacré à l'analyse et à la réflexion s'accroît.

L'utilisation d'un tableur reste très présente dans l'ensemble des logiciels d'analyse financière. En effet, il est fréquent qu'il soit proposé sous forme optionnelle ou en cours de saisie de données.

I.2.2. Les logiciels programmés

Un progiciel d'application a une vocation spécifique. Il a pour objectif de réaliser un ensemble de travaux bien définis correspondant à ses fonctionnalités. Un progiciel est un programme ou un ensemble de programmes, mis à la disposition d'utilisateurs multiples, pouvant satisfaire des besoins équivalents dans différentes entreprises. Ce programme peut s'accompagner de services tels que documentation, formation, assistance à la mise en oeuvre.

Ils sont établis en suivant une démarche algorithmique. Ils permettent d'introduire des informations qualitatives, et plusieurs produits proposent des commentaires automatisés à l'aide d'un traitement de texte. Cependant ces commentaires demeurent très stéréotypés et souvent inutiles. Les données sont totalement ou parfois partiellement dépendantes du programme de traitement. Les éléments sont introduits dans la base avec un ordre précis. La modification d'un de ces éléments a des conséquences sur l'analyse.

Cependant, si les calculs effectués par un ordinateur sont reproductibles et fidèles, les données qu'il traite ne le sont pas toujours. Aussi les résultats peuvent être entachés d'erreurs. La moindre imprécision lors de la phase de saisie peut complètement fausser les résultats et les commentaires proposés.

Une procédure n'est juste que par rapport à une certaine catégorie de données. Elle est propre à la structure pour laquelle elle a été destinée. De plus, les décideurs ignorent tout de l'informatique et ils appréhendent très mal ces contraintes que pourtant ils subissent. Ils jugent l'ordinateur à son coût, sans se préoccuper de sa fonction.

I.2.3. Les systèmes experts

Un système expert est un ensemble constitué d'un logiciel, le "moteur", capable d'exploiter des informations symboliques représentant sous forme parcellisée un domaine de connaissances ("particules", ou "molécules" de connaissances), d'une collection d'informations sur la connaissance spécifique d'un domaine, la "base de connaissance", et de données sur un problème à résoudre, la "base de faits". Il exploite, à la fois, les données et la connaissance permettant, à partir de ces données, de résoudre les problèmes.

Ainsi, les indicateurs du système financier dépendent du système économique de l'entreprise : il cherche à découvrir à travers les indicateurs financiers les causes économiques de leur évolution. Ces causes sont multiples et interactives, aussi l'interprétation est souvent complexe.

Se rapprochant du raisonnement humain en suivant un raisonnement par heuristique, les systèmes-experts permettent d'établir des états et des commentaires moins stéréotypés et plus construits qu'auparavant. La technique de l'informatique classique butait en effet sur ses limites dans ce domaine : l'introduction de système-expert a permis cette évolution. Toutefois, les systèmes experts ne parviennent pas totalement à faire coexister la réflexion stratégique de l'entreprise et l'analyse financière. On notera d'autre part que l'adaptation des systèmes-experts à la mini puis à la micro informatique a permis la multiplication des produits et l'accroissement des besoins et du nombre des utilisateurs.

Le domaine de l'analyse financière est un cas typique où les informations concernant une entreprise sont essentiellement quantitatives et formalisées de façon standard grâce notamment à l'obligation de remplir une liasse fiscale. Il convient de remarquer que la finance est le domaine qui connaît le plus un accroissement du nombre de ses applications durant ces dernières années. L'analyse financière n'est pas le seul domaine concerné. La raison principale réside sans doute dans le fait que chacun de ces domaines est bien délimité, le champ des connaissances nécessaires est connu. Les connaissances elles-même étant susceptibles de changements, le problème ne peut se réduire à un algorithme informatique. On reconnaît les conditions optimales pour la mise en place d'un système expert : domaine d'application circonscrit, complexe, changeant, et ne pouvant être résolu par l'application d'un programme classique.

Un tel système permet donc, non seulement de fournir des informations (ratios, calculs, tableaux, etc), mais encore des jugements argumentés sur la situation qui lui est soumise et de dégager les causes et les conséquences possibles des faits constatés.

De nombreux logiciels intègrent un système expert, ou dit expert, et proposent ainsi, des commentaires. Si ceux-ci peuvent être pertinents, ils ne peuvent remplacer les appréciations du professionnel.

Dès leur apparition, les systèmes experts ont pris une place de plus en plus dominante sur le marché. La plupart des produits traditionnels tendent à se reconvertir en système expert. Ce qui entraîne des adaptations nombreuses et difficiles, qui peuvent parfois diminuer la qualité des solutions proposées.

I.2.4. Les réseaux neuronaux

L'étude des cellules nerveuses (ou neurones) en biologie a conduit les scientifiques à en établir une modélisation simple, décrivant un système qui reçoit un certain nombre de signaux d'entrée à l'aide d'autant de connexions. A chaque connexion est attaché un coefficient de pondération multiplicatif appelé coefficient synaptique. Ce système additionne tous ces signaux et délivre en sortie une quantité proportionnelle à cette somme. On forme ainsi un réseau, en connectant les sorties des uns avec les entrées des autres.

Le réseau de neurones est défini par trois composantes essentielles :

- la typologie de son réseau;

- la méthode d'activation des couches (layer)

- le mécanisme d'entraînement;

Le neurone accomplit 3 fonctions de base : entrée d'un signal, traitement des données et sortie des résultats. Le réseau de neurones est très différent du système expert. Ils ne recopient pas l'expérience humaine, mais construisent leur propre expérience : lorsque les conditions de l'expérience changent, ils continuent leur apprentissage. Contrairement aux systèmes-experts, les réseaux de neurones sont particulièrement aptes à traiter des problèmes mal structurés, possédant des données incomplètes ou erronées.

Il est difficile de comparer les réseaux neuronaux aux logiciels traditionnels, car ils ne sont pas programmés au sens traditionnel du terme. Ils sont chargés de découvrir les relations entre les entrées et les sorties en observant des exemples, et chaque exemple modifie légèrement son comportement. Les avantages des réseaux neuronaux ressortent de manière évidente quand on les compare aux systèmes experts. Ils sont capables de raisonner de manière globale sur des principes de base, et filtrer les bruits et d'isoler l'information utile. Toutefois, la structure interne des réseaux neuronaux rend impossible la recherche du cheminement aboutissant au résultat. Il fournit des solutions toutes faites que l'on ne peut pas contrôler, sauf par les sorties. Il devient un expert autonome qui ne peut pas communiquer son expertise. Il peut toutefois aider, assister le spécialiste et l'aider à progresser.

Actuellement, les réseaux neuronaux connaissent peu d'applications pratiques. Toutefois, on se dirige vers un compromis entre les systèmes experts et les réseaux neuronaux, avec l'apparition des réseaux experts. La nature, les structures et le contexte de fonctionnement des réseaux de neurones en font des outils particulièrement adaptés à la gestion. Ils sont appelés non seulement à concurrencer les systèmes experts mais aussi à les compléter.

II. L'évolution des fonctions des logiciels d'analyse financière

II.1. Les principales fonctions des logiciels d'analyse financière

Chaque logiciel possède ses caractéristiques propres. Toutefois au-delà de leurs différences, il subsiste des similitudes au niveau des éléments saisis (documents de synthèse, balance générale), au niveau de la méthode d'analyse et sur la nature des états édités (ratios de liquidité et/ou tableaux de flux ...).

Compte tenu de leurs spécificités, les logiciels d'analyse financière restent peu nombreux par rapport aux applications de gestion. Pourtant, grâce au degré de finition et de fiabilité de certains programmes, l'apport de l'outil informatique en analyse financière est considérable qu'il s'agisse des produits classiques ou de ceux intégrant un système expert. Ils établissent un bilan complet de la santé de l'entreprise, fournissant de nombreuses indications qui permettent de juger de la stratégie adoptée, d'une part en mettant en parallèle l'exercice en cours et l'exercice écoulé, d'autre part en établissant une comparaison avec les entreprises concurrentes. Les logiciels d'analyse financière évaluent la rentabilité, l'équilibre et la croissance de l'entreprise.

Les deux outils les plus présents dans les logiciels d'analyse financière sont les soldes intermédiaires de gestion et le tableau de financement. Les soldes intermédiaires de gestion analysent deux périodes consécutives à partir du compte de résultat. Le logiciel indique la marge commerciale, la production de l'exercice, la valeur ajoutée, l'excédent brut d'exploitation, le résultat d'exploitation, le résultat financier et exceptionnel, la valeur nette des actifs cédés. En outre, la capacité d'autofinancement est calculée à partir de l'excédent brut d'exploitation.

L'analyse de la rentabilité de l'entreprise est l'une des composantes essentielles de la démarche des logiciels. Il est nécessaire avant tout que l'utilisateur répartisse les charges fixes et variables. Il obtient alors un tableau présentant le chiffre d'affaires, les charges ventilées et le calcul de la marge par rapport aux coûts fixes et variables. En dernier lieu, le logiciel affiche un tableau de synthèse concernant l'intitulé de l'indicateur (ou du ratio), sa formule de calcul, la même formule avec les montants correspondant et le résultat des calculs. Les indicateurs exploités sont la marge de sécurité, la marge sur coût variable et le seuil de rentabilité. L'analyse de ce seuil se révèle primordiale pour les entreprises saisonnières pour lesquelles il peut être particulièrement critique. Il est également possible de procéder à des simulations sur le chiffre d'affaires et le résultat.

De son côté, le tableau de financement est un complément de l'analyse financière qui se présente sous la forme d'une étude de bilan. Les chiffres sont classés par masses du bilan (actif et passif) sur une période de un à quatre ans : le bas du tableau montre le Fonds de Roulement (FR), le Besoin en Fonds de Roulement (BFR) et la trésorerie nette. Un histogramme illustre les valeurs des postes de bilan, analysées sur une durée pouvant aller de une à quatre années. Ensuite, un tableau emplois et ressources récapitule les soldes des différents postes de l'actif et du passif. Le logiciel examine si les inéquations classiques du schéma de l'analyse financière (par exemple : Fonds propres > actif immobilisé et actif circulant > dettes) sont respectées. Pour terminer l'analyse, un logiciel traditionnel examine plusieurs dizaines de ratios classés dans 4 rubriques (structure, liquidité, rotation, rentabilité).

La grande différence entre les systèmes experts et les autres logiciels réside dans la capacité à interpréter et à expliquer les interactions entre les différents flux financiers circulant dans l'entreprise. L'analyse à l'aide d'un système expert fait apparaître les phénomènes, et aide à en rechercher les causes. Elle met aussi en valeur les conséquences futures de la situation du moment. Les données comptables sont transférées à partir du logiciel ou saisis à l'écran à partir de la liasse fiscale. L'utilisateur introduit son bilan, son compte de résultat, le logiciel procédant à des contrôles de cohérence. Il reste à préciser les années de référence et le type d'entreprise (commerciale ou industrielle), puis à indiquer la forme sous laquelle on désire présenter les résultats. Il est alors possible d'examiner différents éléments, comme l'activité, la gestion courante, la rentabilité, la structure financière.

Certains logiciels proposent le calcul de ratios et leur comparaison avec les seuils critiques édités par la Banque de France. Ces seuils sont également modifiables en fonction des particularités propres au secteur d'activité de l'entreprise. Les résultats de cette analyse sont présentés sous forme de graphiques accompagnés de légendes et de commentaires.

La seconde phase d'exploration des résultats est constituée par une édition de rapports : rapport d'analyse, feuille de synthèse, score Z, tableaux synthétiques et tableau des flux. On obtient un rapport d'évaluation patrimoniale de l'entreprise, ainsi qu'un tableau de financement. Dans un système expert, le rapport d'analyse est particulièrement profitable : tous les postes analysés par des ratios sont repris et commentés. La feuille de synthèse sert de conclusion générale, reprenant les points forts et les points faibles de la société. Ce document peut conduire à une prise de décision, avec éventuellement une simulation d'un bilan fictif pour une analyse prévisionnelle.

Le système expert juge, explique, suggère. Il joue également un rôle formateur, donnant la formule de calcul et la définition de chaque indicateur, ainsi que ses relations avec d'autres éléments. En interrogeant ces derniers, l'utilisateur approfondit sa perception de la situation de l'entreprise.

Afin de faire apparaître l'évolution des différentes fonctions, une étude de dix logiciels d'analyse financière, durant une période de 1985 à 1994, a été menée. Elle donne les principaux changements apportés et les tendances qui s'en dégagent.

On constate en premier lieu une ouverture des logiciels avec notamment la création de module d'importation de données (ouverture des produits vers d'autres produits) et de connexion avec des bases de données. Cette ouverture croissante des produits est la conséquence d'innovations techniques comme le modem ou le scanner. La comparaison d'une société par rapport aux ratios de son secteur d'activité est ainsi possible.

Les logiciels évoluent vers une adaptation des formules de calculs et des méthodes d'analyse propres à l'entreprise (flux, score, ratios, ...). Ainsi, l'utilisateur a la possibilité dans certains produits de concevoir ses propres tableaux grâce à un tableur intégré.

L'aspect pédagogique a été très nettement développé avec des aides ponctuelles sur les méthodes d'analyse financière et en apportant une certaine transparence sur le contenu des indicateurs.

Les rapports fournis sont de plus en plus nombreux, détaillés et utiles pour prendre des décisions : rapport d'analyse, rapport d'assistance, fiches points forts / points faibles. Les produits accentuent leurs aspects de conseils et d'outil d'aide à la décision.

La présentation et la pertinence des graphiques se sont considérablement améliorés, puisqu'ils sont généralement représentés en trois dimensions et accompagnés de légendes et de commentaires. Ils reprennent la plupart des conclusions : activité, structure financière, gestion courante, flux financiers.

On notera le développement croissant de simulations dans les différents produits. A partir d'un certain nombre d'hypothèses, un recalcul des états est proposé.

Certaines fonctions, comme l'enchaînement de bilans et de comptes de résultat, qui ralentissaient le traitement, tendent à être simplifiées ou à disparaître. La présence de l'intelligence artificielle dans les produits est un argument très recherché par les éditeurs. Toutefois, la plupart des produits demeurent des systèmes experts plus ou moins perfectionnés, et parfois sont de simples programmes améliorés.

II.2. Une base méthodologique inadéquate

Les logiciels et les systèmes-experts sont conçus sur une base méthodologique inadéquate. En effet, pour apprécier la situation de l'entreprise, ils se fondent sur une extrapolation des liasses fiscales. Or, même s'ils permettent des traitements très productifs, ils ne peuvent rendre compte d'une réalité ancienne et trop globale pour anticiper la fragilité future de l'entreprise. Ainsi, des données de nature économique et politique sont nécessaires, répondant parallèlement aux besoins d'informations plus opérationnelles. Aussi, il s'avère généralement nécessaire de disposer de données macro-économiques (taux d'inflation par exemple) et de données micro-économiques (caractère industriel ou commercial de l'entreprise, informations sur la concurrence par exemple).

Le jugement de l'analyse financière se fonde bien entendu sur les données réelles de l'entreprise analysée, mais se réfère à des normes. L'utilisation d'un progiciel d'analyse suppose par conséquent que les états financiers respectent strictement les principes d'élaboration généralement admis. En effet, l'informatique financière, passée ou prévue, se présente à l'analyste sous la forme de comptes annuels normalisés, lesquels obéissent à des principes d'élaboration qu'il est nécessaire de connaître. Il est parfois donc utile de procéder à des retraitements préalablement à leur saisie informatique.

L'analyse des états financiers suppose la mise en place d'un système informatique conjointement à la standardisation des résultats. L'analyste travaille principalement à partir des comptes annuels de l'entreprise, enrichis de données diverses sur la stratégie, l'environnement, les moyens dont dispose l'entreprise. Pour ce travail, l'apport de l'informatique est essentiel : en effet, outre les calculs de ratios qui peuvent être effectués rapidement par une machine, les développements récents de ce qu'il est convenu d'appeler les "systèmes-experts" permettent d'apporter à l'analyste une aide considérable.

Toutefois, tous les problèmes à résoudre ne nécessitent pas l'utilisation de la logique des systèmes experts. En effet, il décompose les problèmes en sous-problèmes afin de faciliter le traitement. Aussi, l'approche systémique, parfois inutile, est choisie alors qu'une approche analytique plus classique peut s'avérer suffisante.

Les produits développés sont très hétérogènes, tant sur le plan de la forme que sur le plan des objectifs. Ils peuvent avoir des finalités différentes suivant qu'ils privilégient l'aspect d'aide à la décision, ou d'autres aspects comme la formation de l'utilisateur. Les produits à venir ne pourront plus se contenter d'effectuer des analyses standardisées, ni même de méthodes "artisanales" proposées par des auteurs autonomes. Leurs avantages compétitifs devront s'appuyer sur des méthodes plus performantes et innovantes que celles de leurs concurrents.

D'autre part, de nombreux produits proposent des commentaires de plusieurs pages comprenant des conclusions similaires et peu approfondies. Les données quantitatives sont rarement transformées en données qualitatives, ce qui interdit tout raisonnement réel.

Pour gagner en pertinence et en efficacité, les logiciels d'analyse financière nécessitent de traiter des informations sortant du domaine financier, tout en continuant à retraiter les données de la liasse fiscale.

II.3. Une explication liée au conflit entre les utilisateurs et les éditeurs

Ces évolutions peuvent s'expliquer par la mise en évidence d'un aspect conflictuel de la relation entre les utilisateurs et les éditeurs. Les logiciels d'analyse financière subissent le jeu de deux types d'acteurs distincts qui, par leur comportement, modifient les logiques analytiques et entraînent la création de fonctions nouvelles. Ces acteurs ont des objectifs et des contraintes différentes, notamment en terme de coûts : les utilisateurs désirent une analyse la moins onéreuse possible et la plus fiable possible; les éditeurs souhaitent par contre développer des produits rentables et évolutifs.

Aussi des hypothèses liées à la théorie de l'asymétrie de l'information peuvent être soulevées : les éditeurs se gardent un contrôle complet de leurs produits, en donnant peu d'informations aux utilisateurs sur leurs réelles possibilités de traitement. Ils gardent ainsi toute possibilité de renouvellement ou d'évolution de leurs produits, et peuvent davantage dissimuler des problèmes de fiabilité et d'intégrité des résultats. L'informatique ne permet pas d'améliorer directement les méthodes d'analyse. Cependant, les éditeurs essaient de le faire croire.

Le rôle pédagogique des logiciels d'analyse financière peut gêner très fortement l'analyse et dissimuler des erreurs ou des incohérences. L'informatisation de l'entreprise est devenue aujourd'hui indispensable. Cela conduit à uniformiser des pratiques qui, dans certaines sociétés, sont trop disparates. Les investissements sont élevés. Si les logiciels acquis ne correspondent pas aux besoins de l'entreprise, un désengagement est pratiquement impossible.

L'asymétrie informationnelle, dont bénéficient les éditeurs au détriment des utilisateurs, peut entraîner la communication uniquement d'informations qu'ils leur sont plus favorables. Par exemple, les bugs ou les erreurs logiciels seront systématiquement ignorés par l'éditeur.

Les utilisateurs sous-estiment les coûts cachés liés au période nécessaire de formation, et aux travaux de saisie des données initiales. Les utilisateurs attendent toujours davantage de l'informatique. Ainsi on assiste à une multiplication des versions et des "petites" améliorations de produits. Or, les utilisateurs veulent des outils qui les aident dans leur travail quotidien, et non pas des applications de plus en plus sophistiquées. Lorsqu'on analyse les grandes familles de besoins, on s'aperçoit que l'informatique classique ne répond que très imparfaitement à leur satisfaction. A la recherche des vrais besoins, cette préoccupation renvoie à l'analyse des besoins des utilisateurs. Les utilisateurs ont appris et certains en savent autant qu'un informaticien. L'offre en progiciels financiers n'a pas subi de réelle transformation mais la majorité des dernières versions ont moins d'un an. Cela traduit une volonté des éditeurs de proposer des produits dont les fonctionnalités sont très proches des besoins actuels qui suivent les évolutions en matière législative et technologique (obligation en matière de transmission de données par exemple).

On peut voir dans le logiciel un excellent moyen pour imposer non seulement une organisation mais aussi un mode de pensée. Les éditeurs cherchent ainsi à garder une influence sur leurs utilisateurs afin de les fidéliser à leurs produits.

Cet ensemble d'oppositions explique la relation conflictuelle entre les utilisateurs et les éditeurs. Ce conflit est résolu par l'équilibre entre le coût global, et le contenu qualitatif de la solution fournie par les logiciels d'analyse financière.

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Conclusions

Les logiciels d'analyse financière prennent plusieurs formes : tableur, programme, système expert ou intelligence artificielle. Certains produits proposent la rédaction de véritables rapports, enrichis de commentaires et de graphiques. Mais ils ne peuvent remplacer l'analyste financier et ils n'accentuent que le rôle de conseil et d'avertisseur de l'analyste.

Nous avons vu, tout au long de cette étude, les différentes possibilités et les contraintes de l'informatique. Ses apports sont en fait de deux types : des améliorations d'ordre quantitatif (conservation des données, productivité dans la réalisation des états financiers) et des améliorations d'ordre qualitatif (diffusion des connaissances, aide à la décision).

La relation conflictuelle, qui existe entre les utilisateurs et les éditeurs de logiciel, donne au marché des logiciels d'analyse financière, un dynamisme, une créativité et une innovation permanente que l'on retrouve dans l'ensemble de ses applications. L'apparition de nouveaux produits, ainsi que l'abandon de commercialisation, reflètent la volonté des éditeurs de mieux cibler les besoins, et d'y apporter leurs efforts de développement.

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