Une étude de cas exploratoire portant sur le contrôle de gestion dans une entreprise de réseau : la SNCF

An exploratory field study of the management control in a network company : the SNCF

Gilles DAVID

Robert ZRIHEN

Centre de recherche : CREFIGE Cahier 9509

Mots clés : contrôle de gestion, entreprise de réseau, interdépendance, centres de responsabilité, activités, processus, changement.

keys words : management control, network company, interdependence, profit centers, activities, process, change.

Résumé : Cette communication porte sur une étude de cas exploratoire réalisée à la SNCF. Dans une entreprise de réseau comme cette dernière, les hypothèses sur lesquelles repose le modèle traditionnel de contrôle de gestion sont plus difficiles à admettre qu'ailleurs. Or, actuellement, cette société est engagée dans un processus de changement de ses systèmes de contrôle. Un nouveau modèle de contrôle de gestion serait-il en train d'émerger ?

Abstract : This paper describes an exploratory field study which was carried out at the SNCF. In a network company like SNCF it is more difficult to adopt the assumptions on which traditional management control is based. Now this company is entering into a new process of change of its control system. Is a new model of management control emerging ?


SOMMAIRE

Introduction

1. Revue de la littérature /Problématique

1.1. L 'entreprise de réseau

1.2. Les hypothèses du modèle de contrôle de gestion traditionnelle

2. La mise en place d'un nouveau système de contrôle organisationnel à la SNCF

2.1. Une évolution nécessaire

2.2.Conduire le changement

2.3.L'organisation en centres de responsabilité

2.4.Les grands axes de la rénovation du contrôle de gestion

3. Quelques enjeux majeurs pour le futur

Bibliographie


Introduction

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Nous nous proposons dans cet article d'examiner les enjeux liés à l'implantation d'un système de contrôle de gestion dans une entreprise de réseau.

Dans une première partie, nous chercherons à répondre à la question suivante : Quelles sont les oppositions entre les hypothèses du modèle de contrôle de gestion traditionnel et les caractéristiques des entreprises de réseau ?

Puis, dans une seconde section, nous tenterons de savoir ce qu'il en est dans la réalité. Nous examinerons, à cet effet, un cas concret d'entreprise de réseau - la SNCF - avec la mise en place d'une gestion par centres de responsabilité. Nous verrons que les difficultés et les solutions proposées ne se réduisent pas à une seule dimension mais se situent au croisement de différentes logiques - comptables, techniques, organisationnelles et politiques - qui en rendent la réalisation complexe certes, mais passionnante.

Finalement, nous conclurons sur les réponses apportées par la SNCF aux problèmes du contrôle de gestion dans une entreprise de réseau et esquisserons quelques perspectives pour l'avenir tant au niveau de cette société que de la recherche académique.

1. Revue de la littérature /Problématique

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1.1. L 'entreprise de réseau

Le terme " réseau " renvoie, en ce qui concerne l'entreprise, à un grand nombre de significations (Dupuy (1989)). Il faut toutefois distinguer les " entreprises en réseaux " des " entreprises de réseaux ".

Les premières - en réseau - s'inscrivent dans le cadre de la recherche de nouvelles modalités d'organisation et en particulier de coopération. La constitution d'alliances et de réseaux entre firmes permet de développer des avantages compétitifs non seulement en termes de coûts mais aussi de stratégies. Cela donne naissance à divers types de réseaux : firme-réseau, réseau de firmes (Guilhon et Gianfoldoni (1990), Paché et Paraponaris, (1993)).

Les entreprises de réseau - réseaux physiques ou de service - se définissent selon Curien (1992) par l'existence de trois structures d'activité, stratifiées :

Le niveau intermédiaire " coordination et contrôle " est souvent intégré à celui des infrastructures : les entreprises de réseau sont alors composées, d'une part, des " infrastructures " et, d'autre part des " prestations de services ".

A partir de la définition retenue des entreprises de réseau (infrastructures / services), ces dernières se caractérisent principalement par (Curien (1992), Benzoni et Rogy (1993)) :

1.2.Les hypothèses du modèle de contrôle de gestion traditionnelle

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A partir de la typologie sur les hypothèses du modèle traditionnel du contrôle de gestion décrite par Bouquin (1994), nous allons la confronter avec les spécificités des entreprises de réseau.

Anthony (1965) propose une distinction des processus de gestion de l 'entreprise en trois catégories qui va constituer un cadre conceptuel sur lequel repose une grande partie des systèmes de contrôle de gestion actuels et en particulier budgétaire : la planification stratégique, le contrôle de gestion , qui est " le processus par lequel les dirigeants obtiennent l'assurance que les ressources sont obtenues et utilisées de manière efficace et efficiente dans la réalisation des objectifs de l'organisation " et le contrôle opérationnel. Cette classification repose sur trois hypothèses sous- jacentes.

1.2.1.L'hypothèse du cloisonnement dans le temps et dans l'espace

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Le contrôle de gestion se situe entre la stratégie - décidée par la Direction Générale - et l'exécution des tâches. Son existence repose sur un découpage vertical de l'entreprise en centres de responsabilité. Un couple objectifs/moyens est, alors, alloué à chacun de ces centres. Cela suppose que les performance de ces entités et de leurs responsables respectifs peuvent être clairement identifiées et mesurées.

Or dans les entreprises de réseau, ceci est particulièrement compliqué en raison de l'interdépendance des différentes unités pour fournir les prestations requises. La solution consiste à mesurer ces flux induits entre centres de responsabilité afin d'identifier la prestation " réelle " de chaque centre : c'est là que réside la difficulté, du fait de la multiplicité des phénomènes d'externalités et de synergies dans les entreprises de réseaux.

En règle générale, il n'existe pas de solution simple au problème de prix de cession interne (Eccles (1985)). Cela peut être particulièrement complexe dans une entreprise de réseau où le partage d'une infrastructure rend difficile l'allocation de coûts fixes ; sans évoquer les phénomènes de " subventions croisées " entre les différents types de produits et/ou clientèles. Il en découle un risque de grande confusion, dans la mesure où l'on veut précisément isoler les responsabilités de chaque centre dans la performance réalisée.

Enfin, plusieurs études montrent que le rôle attribué aux outils traditionnels de contrôle de gestion (budgets, etc.) est beaucoup moins pertinent en cas d'interdépendances fortes entre départements (Macintosh et Daft (1987)).

1.2.2.L'articulation entre le court et le long terme

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Le contrôle de gestion - au travers de la gestion budgétaire en particulier - présuppose que chaque centre de responsabilité articule le court terme avec la stratégie à long terme. Cela signifie que chaque centre de responsabilité dispose d'une certaine autonomie. Or, on peut s'interroger sur la marge de manoeuvre dont dispose chaque centre de responsabilité en particulier en ce qui concerne le caractère irréversible des décisions prises lors du choix des infrastructures.

A ce propos, Benzoni et Rogy (1993) critiquent avec pertinence la théorie économique implicite de la Commission des Communautés Européennes visant à introduire la concurrence dans les activités de réseaux, souvent organisées de façon monopolistique dans l'Union Européenne : en effet, en raison de coûts " irrécupérables ", la Commission a dû renoncer à la contestabilité dans les réseaux (c'est-à-dire, l'entrée et la sortie de nouveaux intervenants dans les industries) pour promouvoir l'idée de séparabilité entre infrastructures - qui resteraient sous monopoles - et services qui seraient soumis à la concurrence.

Or, ces deux auteurs -dans une optique d'économistes industriels- montrent que les relations infrastructures - services " s'inscrivent dans le cadre d'une inséparabilité fonctionnelle et génèrent des économies d'organisation.... Dans toute prestation fournie par un réseau, une fraction plus ou moins importante du service constitue une production- jointe de l'infrastructure ".

Dit d'une autre manière, les situations à court terme dans les entreprises de réseau sont déterminées pour une large part par les choix stratégiques décidés précédemment au niveau des infrastructures, tant d'un point de vue technique qu'organisationnel.

La séparation préconisée entre l'infrastructure et les services est loin d'être évidente, en théorie et en pratique.

1.2.3.L'hypothèse culturelle : l'optique du contrat

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La dernière hypothèse sur lequel repose le modèle du contrôle de gestion est celle de ses origines, c'est- à-dire le modèle de gestion nord américain, individuel et contractuel (Chandler (1977)). On peut alors se poser la question de l'adéquation entre : d'un côté un modèle de management, fondé sur des contrats d'objectifs- moyens, traduits dans un langage comptable et de l'autre, dans le cas des entreprises de réseau en France, une culture à la fois très technique et d'entreprises publiques.

Tous ces éléments révèlent les difficultés à adapter le modèle théorique de contrôle de gestion traditionnel aux spécificités des entreprises de réseau. Qu'en est-il dans la réalité?

2. La mise en place d'un nouveau système de contrôle organisationnel à la SNCF

2.1.Une évolution nécessaire

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Avec plus de 32 000 km de lignes exploitées, 190 000 agents, un chiffre d'affaires de 54,2 milliards de francs, la Société Nationale des Chemins de Fer (SNCF) est une des plus importantes entreprises françaises de réseau. Sa finalité première est "d'offrir un service public de transport de qualité à ses clients". Son organisation a, pendant longtemps, été structurée autour de grandes fonctions (entretien de la voie, entretien du matériel, transport, etc.). La déclinaison de la stratégie se faisait par le biais de ces lignes fonctionnelles et la prise de décision était centralisée. Le système budgétaire s'appuyait sur cette structure et encourageait le cloisonnement entre les départements. Cette organisation était assez bien adaptée au contexte d'une époque aujourd'hui révolue.

Mais, la SNCF doit, désormais, faire face à une concurrence très vive des autres modes de transport. Ses stratégies se construisent, désormais, autour des exigences d'un usager devenu client. La maîtrise des coûts et de la qualité est devenue primordiale dans cette reconquête commerciale. Conjointement, une gestion par centres de responsabilité se met en place. La nécessité de décentraliser les responsabilités et d'augmenter la réactivité de l'entreprise vient perturber les routines bureaucratiques de ce système. De son côté, le processus budgétaire a révélé au grand jour ses limites et ses effets pervers. Les systèmes de contrôle sont en passe d'être rénovés ou tout simplement créés ; l'informatique jouant ici un rôle important.

2.2.Conduire le changement

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Un processus de changement est souvent difficile à mener. Des structures par projets ont été constituées. Mais, dans une entreprise publique de la taille de la SNCF, les difficultés sont souvent plus complexes à résoudre qu'ailleurs, même si celles-ci ne sont pas fondamentalement différentes. Les problèmes sont d'autant plus importants lorsque l'on manque de références dans le temps.

Ainsi, vouloir donner le sens du profit et introduire une culture économique et financière, à tous les niveaux, mettre le client au coeur des préoccupations de chacun etc. sont, toujours, des défis ambitieux dans une entreprise à forte formation technique. Les acteurs peuvent rapidement devenir des sources d'inerties et des freins au changement. Dans le cas de la SNCF, une légitimité importante a du être donnée par la direction générale à ce programme. D'importants efforts de formation sont entrepris. Dans ce sens, cette gestion du changement mériterait probablement une analyse plus approfondie.

2.3.L'organisation en centres de responsabilité

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Dans le cadre de sa nouvelle organisation, la SNCF isole quatre catégories de centres de responsabilité : les activités de transport, l'activité d'infrastructure, les directions techniques et d'appui et les régions.

Le découpage en activités de transport se fonde sur des considérations stratégiques et géographiques. Au niveau national, les activités se composent des liaisons grandes lignes, du fret et du Sernam. Par ailleurs, dix-sept activités régionales correspondant aux collectivités territoriales sont identifiées. Le service Ile de France tient une place à part en raison de son importance et de ses particularités. A ce titre, il peut être assimilé à une activité nationale. Autrement dit, il n'est pas dirigé par une région SNCF mais par une direction spécifique. Ces directions ont pour principale mission d'élaborer des stratégies sur leurs marchés respectifs.

La nouvelle directive européenne 91-440 impose, désormais, aux entreprises ferroviaires d'isoler leur activité d'infrastructure. Cela revient, en quelque sorte, à distinguer d'un côté le réseau de flux de voyageurs ou de marchandises (auquel il faut associer les wagons, les locotracteurs etc.) et de l'autre le réseau physique de voies ferrées (rails, traverses, etc.).

Les directions techniques (Matériel et Traction (locomotives, conducteurs, sécurité, etc.), Equipement et Aménagement, etc.) et d'appui (Gestion et Finance, Personnel, Juridique, etc.) ont une vocation fonctionnelle. On peut citer sommairement trois des grandes missions de ces directions : un rôle d'assistance et de conseil par la fixation des normes et des règles techniques de fonctionnement national (par exemple pour les impératifs de sécurité), une fonction de production nationale (citons tout ce qui concerne la fourniture d'énergie de traction) et enfin, pour certaines d'entre elles, un rôle de répartiteur des charges de production et d'assemblage des prestations régionales (par exemple la direction du matériel et de la traction donne les références pour une obligation minimale d'entretien du matériel roulant).

D'autre part, la SNCF se compose de vingt-trois régions. Elles sont hiérarchiquement responsables d'établissements (matériel, commercial train, exploitation, équipement). Comme nous l'avons vu plus haut, seules dix-sept d'entre elles sont responsables d'une activité de transport régional. Mais, toutes ont comme fonction de produire pour les activités ou les assembleurs.

Ces derniers (Matériel et Traction, Equipement et Aménagement) sont dénommés ainsi car ils "assemblent" ou plutôt assurent la cohérence entre la logique des régions en tant que centres de production et la logique commerciale des activités (Grande Ligne, Ile de France, Fret). C'est le cas lorsque pour des raisons d'efficience, la production de la région doit être optimisée au niveau national. Ces relations se matérialisent par des contrats clients/ fournisseurs où l'activité et la région négocient chacune de leur côté un contrat avec un assembleur. On peut citer l'exemple de l'entretien du matériel des grandes lignes ferroviaires : le client Grande Ligne commence par contracter avec le fournisseur Matériel. Puis, cet assembleur passe, de son côté, un second contrat avec la région.

En fait, la majorité des contrats est passé directement entre l'activité et la région. Le contrat peut, alors, concerner la commercialisation voyageurs, la commercialisation Fret etc..

2.4. Les grands axes de la rénovation du contrôle de gestion

2.4.1. La place du contrôle de gestion dans l'entreprise et dans le processus de planification

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En 1991, une direction du contrôle de gestion a été créée à partir de l'ancienne direction du budget. Elle se trouve, désormais, rattachée à la direction de la gestion et des finances. Par ailleurs, chaque centre de responsabilité dispose de sa propre cellule de contrôle de gestion et les contrôleurs de gestion dépendent de leur direction opérationnelle locale.

Dans l'avenir, l'ensemble du processus de contrôle devrait être intégré à la démarche de planification. Ainsi, tous les cinq ans, un contrat de plan est signé avec l'Etat. Ce document contribue fortement à la définition des grandes orientations stratégiques de l'entreprise. Ces dernières seront traduites en plans opérationnels qui serviront de cadre de référence pour la formulation des objectifs fixés aux entités. Ensuite, des plans d'action et des comptes de gestion seront construits. Finalement, les discussions annuelles modifieront les décisions pluriannuelles et donneront un caractère glissant à la procédure.

2.4.2.Des prix de cessions internes

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Le processus de rénovation des systèmes de contrôle repose en partie sur les relations clients/fournisseurs que nous avons évoquées plus haut. Manifestement, dans une entreprise de réseau, la construction de prix de cessions interne devient rapidement un enjeu majeur dans la procédure de décentralisation et dans le processus de contrôle au sens large du terme.

Le contenu des contrats de prestations internes porte sur les évolutions du volume de la production (prévision du client), de la facturation (prévision du fournisseur) et de la qualité (prévision du fournisseur). L'ensemble s'inscrit dans une perspective pluriannuelle. Ainsi, pour prendre l'exemple de l'activité Grandes Lignes contractant avec les régions, la négociation pourra concerner la distribution de billets avec comme unités d'oeuvre possibles le nombre de billets multiplié par le prix unitaire ou encore le nombre d'heures passées au guichet multiplié par un prix horaire. Une fois négociés les termes du contrat, l'entité productrice dispose d'une sorte de coût unitaire objectif et des moyens lui sont alloués en conséquence. Dans l'avenir, la flexibilité des facturations devrait introduire avec l'utilisation de coefficients d'élasticité des facturations à la variation du volume de production. Finalement, en fin d'année, une régularisation donne lieu à une facturation réelle.

Il va de soi que le nombre et le poids des différents contrats diffèrent selon les entités, même si, dans un premier temps, on a pu voir se dessiner une modélisation très complexe (2000 unités d'oeuvres pour un assembleur (1200 pour les clients, 800 pour les fournisseurs)). La SNCF s'est, finalement, orientée vers une simplification de la procédure. Ainsi, pour 1995, les négociations, sur la base des unités d'oeuvre, se feront sur les dix principaux contrats clients/fournisseurs qui couvrent 80% de la production de la région. Pour les 20% restants, on se fondera sur des facturations globales. A terme, il est possible que les contrats de faibles montants soient supprimés ou transformés en de simples refacturations.

Par ailleurs, il semble qu'aujourd'hui, on cherche à encourager une optique partenariale et les négociations devraient, théoriquement, se faire à parité. L'idée est d'aboutir à une contractualisation optimale par un système d'ajustements mutuels. Mais, un risque majeur demeure : la perte de vue des vraies responsabilités dans une mécanique lourde de négociations et de compromis. En outre, dans une entreprise historiquement très hiérarchique, il est souvent difficile de mettre en place des jeux coopératifs et la réussite du projet peut s'avérer incertaine.

2.4.3. Des comptes de gestion

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Finalement, ces prix de cession internes viennent s'inscrire dans un compte de gestion établit pour chaque entité. Ces comptes sont utilisés avant (comptes prévisionnels), pendant (comptes de suivi et de reprévision) et après l'action (comptes de résultats à prix de cession internes ou à coûts réels). On distingue les comptes de production, les comptes d'activité et le compte d'infrastructure (figure 1).

Les comptes de production concernent les établissements, les régions, les assembleurs et les producteurs nationaux. Ils enregistrent à leur débit les dépenses propres au centre production et les prestations internes qui leur sont facturées et à leur crédit la production vendue ou stockée. Les centres de production s'engagent à équilibrer leurs comptes en fin d'exercice. Par conséquent, si des déséquilibres apparaissent, le gestionnaire doit s'appliquer à les réduire.

Chaque activité possède également un compte. Sa marge doit être positive. Une fois consolidés, ces comptes fournissent le budget de l'entreprise. Il s'agit à la fois d'un outil de pilotage et de mesure de la performance de la SNCF sur ses différents marchés. On a pu dire que le dirigeant de l'activité n'avait plus à respecter plusieurs budgets sectoriels comme ce pouvait être le cas dans l'ancienne procédure budgétaire. Une fois les moyens alloués, le gestionnaire doit, dorénavant, adapter globalement et en toute autonomie l'évolution de ces moyens à l'évolution de son travail.

Résultat de Gestion de l'Entreprise = Résultats des Activités + Résultat de l'infrastructure + Résultat d'Administration Générale + Résultats des Comptes de Production

Actuellement, le nouveau dispositif est en cours de mise en oeuvre. Les principaux éléments budgétaires trouvent leur place dans les comptes de gestion.

D'autre part, une rénovation du système d'information et, en particulier, de la comptabilité de gestion accompagne ces évolutions. Cette dernière doit faire coïncider ses informations avec la nomenclature des centres, s'adapter aux contrats clients/fournisseurs et fournir les éléments nécessaires à l'élaboration des comptes. On imagine, aisément, l'ampleur de ce chantier et les difficultés présentes à disposer, en temps voulu, d'une information fiable et pertinente.

En définitive, du moins dans leur utilisation, les comptes de gestion paraissent très proches, voire identiques, de la notion classique de budget dans le sens où ils permettent de coordonner les entités entre elles, servent d'outil de gestion prévisionnelle et d'instrument de délégation et de motivation.

2.4.4.Des tableaux de bord et des contrats d'objectifs

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Cependant, ces outils à dominante comptable possèdent des limites intrinsèques et nécessite l'utilisation d'autres moyens de contrôle et, en particulier, le recours à des tableaux de bord et à des contrats d'objectifs.

Ces derniers sont un complément indispensable (figure 2) aux contrats de prestations internes que nous avons décrit plus haut. Ils se fondent sur des relations hiérarchiques et sont conclus d'une part entre la direction générale et les centres de responsabilité et d'autre part entre les régions et leurs établissements. Des questions se posent : Quelles doit être l'articulation entre les contrats d'objectifs et les contrats client/fournisseur ? Jusqu'à quel point peut-on décliner des objectifs par le biais des contrats client/fournisseur ?

De plus, il semble que cette structure peut être qualifiée de matricielle. En effet, trois dimensions complémentaires de la performance apparaissent : une logique " client " portée par les activités nationales, une logique " métier " portée par les assembleurs et une logique géographique portée par les régions. Ceci n'est pas sans évoquer la célèbre matrice tridimensionnelle de Dow Corning. Il est vrai que beaucoup de personnes considère que ce type de structure est particulièrement bien adaptée aux organisations complexes. Par contre, on peut déjà deviner les problèmes sous- jacents qui risquent de se présenter : commandements multiples, prise de décision caricaturale, coût de fonctionnement, etc.. A ce propos, une tendance nette des assembleurs à "court-circuiter" les régions en donnant directement des ordres aux établissements semble apparaître.

3. Quelques enjeux majeurs pour le futur

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Au vu de notre étude sur l'évolution du contrôle de gestion à la SNCF, il apparaît que l'entreprise se retrouve au carrefour des différentes réponses qu'elle a apportées partiellement ou en totalité aux enjeux de son système de contrôle.

D'une part, il semble qu'une tendance à conserver une logique fonctionnelle de gestion du réseau apparaît. Ceci est, peut-être, dû au fait que les régions reportent aux directions fonctionnelles - et non à la direction générale-. De telle manière que les directions fonctionnelles continuent à assurer pour une large part les fonctions de coordination et de contrôle des flux de transport. Ceci peut s'expliquer pour des raisons historiques.

D'autre part, l'entreprise a entrepris de résoudre le problème des interdépendances entre les entités par un mécanisme relativement détaillé de prix de cession internes. Ce système est fort complexe et la constitution de comptes de gestion rend donc difficile le pilotage à court terme. Cela justifie le recours à des tableaux de bord et à des indicateurs physiques déjà largement implantés à la SNCF. Cela traduit également la confrontation entre deux cultures ou deux optiques différentes : " celle des ingénieurs et celle des comptables".

Enfin, pour répondre aux problèmes de la décentralisation des responsabilités et pour favoriser l'autonomie au plus près du " terrain ", le renforcement des entités régionales et de leurs établissements constitue une réponse cohérente. Mais, quelle doit être la taille optimale de ces entités ? Dans l'avenir, des enjeux importants pour le contrôle de gestion porteront, certainement, sur ces centres régionaux et sur leurs établissements.

Les pistes de réflexion qu'il faudra inévitablement aborder seront les suivantes :

Faut-il, comme certains auteurs le proposent, renforcer ces deux premiers sous-processus lorsque la mesure des performances s'avère difficile voire impossible? Dans cette perspective, l'idée principale peut grossièrement être exprimée de la façon suivante : " sachant que toutes les conditions ont été réunies pour aboutir à la meilleure performance possible désirée, la phase de post-évaluation perd logiquement de son importance relative ". Actuellement, il semble que la SNCF s'inspire de ce type de démarche en cherchant à assigner des objectifs et des missions claires aux différents centres de responsabilité.

Si les entreprises de chemins de fer ont joué un rôle essentiel dans le développement du management moderne aux États Unis, peut-être verrons nous, dans les années à venir, la SNCF apporter quelques éléments de réponses aux interrogations contemporaines sur l'organisation post-taylorienne ?

Bibliographie

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