REALITES ECONOMIQUE ET FINANCIERE DES PRIX DE TRANSFERT DES FIRMES PHARMACEUTIQUES

par Jean Gilles MBIANGA

CREFIGE, Université Paris Dauphine.


Mots clés : prix de transfert - principes actifs - recherche et developpement - produits génériques - intégration verticale - marge intégrée - retour sur investissement - Décentralisation - coûts de transaction - idiosyncratie.


1. Introduction.

S'exprimant au sujet des prix de transfert, un manager anonyme disait dans Eccles (1985, p293) : "Il ya deux truismes en gestion, les prix de transfert sont erronés et les charges de la direction générale sont trop élevées". De tous les problèmes de management auquels est confrontée la direction générale dans la gestion des entreprises à structure décentralisée ou de M-forme (Williamson 1970), le problème des prix de transfert est le plus complexe, voir le plus conflictuel lorsqu'on y associe l'allocation des frais de structure. Quelque soit la méthode utilisée, les prix de transfert ne satisfont jamais entièrement les différentes parties concernées. Les intérêts des uns ne coïncidant pas toujours avec ceux des autres, et l' optimum global n'étant pas nécessairement la somme des optimums locaux.

A l'image du prix sur le marché, les prix de transfert sont supposés aider à la prise de décision et à l'allocation des ressources dans l'organisation. Mais ils demeurent paradoxalement une enigme pour le management (Kaplan1982). Tandis que l'économie des nouvelles institutions (Williamson, Coase) proclame la supériorité de la hiérarchie sur le marché pour ce qui est de la minimisation des coûts de transaction, les managers des centres de profit manifestent paradoxalement un désintérêt pour les échanges internes. D'autre part, la difficulté pour la hiérarchie de venir à bout du problème des prix de transfert amène à s'interroger sur cette hypothèse fondamentale de l'économie des nouvelles institutions, mais là réside une tout autre problèmatique.

Les prix de transfert sont considérés dans la littérature comme un outil de gestion de la décentralisation. Nous envisageons à travers cet article montrer la particularité du système des prix de transfert dans le secteur de la pharmacie qui répond d'avantage aux spécificités du secteur qu' aux objectifs souvent cités par la littérature. La littérature sur les prix de transfert s'est généralement cantonnée à l'analyse et à l'explication de l'impact organisationnelle sur le fonctionnement des systèmes de prix de cession interne. Swieringa et Waterhouse (1982) considèrent les prix de transfert comme un problème de coordination entre les différentes parties concernées par la transaction dans l'organisation. Vancil (1979) trouve une relation entre la distribution de l'autorité, de la responsabilité, le système de récompense et le système de prix de transfert. Eccles (1982) considère le système de prix de transfert comme résultant d'un processus d'apprentissage organisationnel et appellé à changer constamment.

L' environnement externe de l'entreprise n' est généralement pas pris en compte. Des contraintes sectorielles pèsent sur les prix de transfert des firmes pharmaceutiques et les amènent à adopter le système de marge intégrée qui neutralise les objectifs généralement assignés aux prix de transfert par la littérature. L'utilisation du système de marge intégrée dans le secteur permet, grâce aux prix de transfert, d'accélérer l'amortissement des investissements de recherche et developpement effectués en amont; d'optimiser les stratégies fiscales vu le caractère international de l'activité. La problèmatique du secteur de la pharmacie peut en effet être resumée en une question. Comment rentabiliser la commercialisation d'un nouveau médicament lorsque sa phase de R&D est très longue, la durée de sa protection par conséquent très courte, les contraintes administratives lourdes et multiples - parce que internationales -, tout en étant confronté aux différentes politiques nationales de santé qui contrôlent et limitent de plus en plus le prix de vente d' un médicament? Le système de prix de transfert, s'il n'est pas le seul, semble être un élément de réponse.

2. Rapides developpements théoriques.

Les prix de transfert naissent généralement de la conjonction de deux phénomènes; d'une part un certain niveau d'intégration verticale et d'autre part parce que par souci de décentralisation, les firmes créent des centres de profit et dans certains cas, les prix de transfert ne sont pas neutres sur le résultat de ces centres de profit. Dean (1955) considère un centre de profit comme (1) ayant une indépendance opérationelle dans la prise de décision qui affectent ses profits, (2) ayant accès aux ressources et aux marchés avec une liberté d'approvisionnement en interne comme en externe, (3) la séparation de ses coûts et de ses revenus, et enfin (4) le profit comme principal objectif. Ces différentes conditions ne sont généralement pas réunies dans la pratique, ce qui est source de dysfonctionnements et de conflits, les managers se plaignant d' être jugés sur des variables dont ils n'ont pas l'entière maîtrise.

2.1 Méthodes et enjeux des prix de transfert.

Les prix de transfert ont longtemps été considérés comme un "mécanisme technicien", voir taylorien, et correspondant à une certaine division du travail entre les différents entités de l'organisation avec pour seul objectif de confier une responsabilité claire et précise à chacune des entités sur des ensembles de couples produits/marchés (strategic business units) de telle sorte que ces entités puissent être comptables de ce qu'elles produisent, de ce qu'elles consomment et de leur resultat. si des travaux récents (Swieringa et Waterhouse 1982, Eccles 1985) ont mis en évidence la contingence structurelle comme affectant les pratiques de prix de transfert, le secteur d'activité n'a pas toujours suffisament été pris en compte.

La focalisation sur les méthodes (notamment les approches économique et comptable) ont souvent fait perdre de vue l'outil de management que les prix de transfert peuvent représenter aussi bien en terme de motivation financière que de management global. Or avant les méthodes, le système de prix de transfert doit traduire en premier les objectifs globaux de la direction générale et la réalité économique de l'entreprise. Comme le mentionnait J. M Fremgen (1955), "C'est vraiment un non sens d'argumenter quelle méthode de prix de transfert doit être utilisée si le management n'est pas encore tombé d'accord sur ses objectifs de base et sur les attentes qu'il espère du système de prix de transfert qui peut être mis en place". Les prix de transfert doivent donc être cohérents avec le système d'information et de pilotage de l'organisation.

211 Les méthodes.

Plusieurs méthodes de détermination des prix de transfert sont généralement cités dans la littérature. Une bonne énumération en est faite dans Kaplan (1982), ou encore Anthony et Dearden (1980). Les études empiriques réalisées montrent que quelques unes seulement sont utilisées dans la pratique. Ce sont les prix de transfert sur la base du prix de marché pour environ 40 à 50%, les prix de transfert selon les coûts pour 30%, et 20% pour les prix négociés (Eccles 1985, Tang 1979, 1991).

2.1.2 Les enjeux des prix de transfert.

La littérature classique attribue généralement aux prix de transfert les objectifs contradictoires d'allocation des ressources, de mesure de performance et de motivation. Ces différents objectifs sont la conséquence logique de la décentralisation. Il est en effet difficile de parler de prix de transfert sans faire allusion à la décentralisation dont le processus repose sur la délégation de l'autorité, l'allocation des ressources et la mesure de performance.

La délégation de l'autorité.

DansThe Company Organization Structure (1953), L'American Management Association écrivait : "A reduction in size of the decision making unit into several units, by splitting an existing large unit into several units, each small, and delegating to each decision-making power, may bring about considerables increases in efficiency". Plus tard, Chandler (1962) et Sloan (1963) expliquaient, le premier en étudiant l'origine de l'apparition de l'entreprise moderne, et le second en décrivant son expérience chez General Motors, que l'objectif premier de la décentralisation était d'accroître l'efficience de la prise de décision. La théorie de la firme s'inspirera également de ces auteurs pour expliquer l'organisation de la firme et leur mode de gestion (Alchian et Demsezt 1972, Coase 1937, Boulding 1968, Williamson 1970, 1975).

L'allocation des coûts et des revenus.

L' allocation des coûts et des revenus peut être considérée comme un second objectif de la décentralisation. Selon qu'on soit centre de coût ou centre de profit on aide la direction générale à maîtriser les segments de l'entreprise. Toutefois, cette allocation doit être juste, impartiale et objective pour ne pas démotiver les acteurs.

La mesure de la performance.

Dès lors qu'on a décidé de déléguer l'autorité de la prise de décision, il faut pouvoir en mesurer le rendement. Aboutissement de tout processus de contrôle et outil central de gestion des entreprises décentralisées, le système de mesure de performance permet de déterminer quelle est la contribution de chaque division au profit global de l'organisation.

La délégation de l'autorité, l'allocation des coûts et la mesure de performance doivent être cohérents avec le système de prix de transfert mis en place. Cela demande de savoir jusqu'à quel niveau est déléguée la prise de décision aux managers des divisions. Les politiques de prix de transfert varieront en effet selon que les managers ont la liberté ou non de s'approvisionner en externe, selon qu'ils ont la liberté de fixer eux-mêmes leurs prix de transfert. Outre les objectifs recherchés par la direction générale, le système de mesure de performance doit tenir compte du dégré de responsabilité et d'autorité accordé aux managers.

Les méthodes et objectifs classiques des prix de transfert étant énumérés, nous verrons que la pratique est différente dans le secteur pharmaceutique. Elle tend à remettre en cause les objectifs d'aide à la prise de décision et d'allocation des ressources au profit d'une meilleure prise en compte des contraintes économique du secteur. A cet effet, une description préalable du secteur s'impose.

3. Si le sucre était un médicament ou de l'activité des firmes pharmaceutiques.

Il y a quelques années, un article paru dans un journal assez connu tentait de démontrer que le prix du sucre serait supérieur à 1000 francs le kilogramme "si le sucre était un médicament", d'où le titre du paragraphe. Mais l'idée - vraie ou fausse ? selon laquelle le prix du médicament n'est pas justifié et que les firmes pharmaceutiques se font des marges importantes n'est pas l'objet de notre article. Le choix du titre illustre le fait que l'activité du secteur de la pharmacie est différente de celle des autres secteurs. Comme le faisait remarquer un contrôleur de gestion du secteur, "on ne synthétise pas le sucre, on l'extrait d'une matière végétale". Derrière un médicament, il y a en effet avant tout plusieurs années de recherche et developpement et la plupart du temps infructueuse, et l'efficacité d'un médicament pour une indication thérapeutique particulière n'est reconnue par les administrations qu'après plusieurs années de R&D et de méticuleux tests cliniques, l'administration ne permettant la vente d'un médicament que pour les indications pour lesquelles le médicament a été testé et validé.

3.1 L'activité du secteur.

"Pour réussir, un groupe pharmaceutique doit tous les ans affecter dans ses ressources un budget de R&D pour pouvoir dans les 8 ou 10 ans sortir peut être un médicament qui sera la relève de celui d'aujourd'hui. Il doit de plus faire enregistrer auprès des autorités du monde entier ce médicament pour qu'il vive sur le marché". Ces propos du responsable de division d'un grand groupe pharmaceutique visité résume à eux seuls l'activité du secteur. La recherche scientifique et l'innovation constituent un impératif vital pour l'industrie pharmaceutique. C' est un processus long et complexe qui repose avant tout sur la prise de risques financiers. D'où un impératif majeur de retour sur investissement dans le secteur pour assurer la perennité de l'entreprise. D'autre part, le médicament n'est pas un produit comme les autres, car c'est la santé humaine qui est en jeu. La découverte d'un nouveau médicament pose immédiatement un problème d'éthique quant à son utilisation partout dans le monde et nécessite l'accord des autorités locales pour sa commercialisation. Exercer dans le secteur suppose donc la maîtrise d'un certains nombre de facteurs clés de succès.

3.2 Les facteurs clé de succès du secteur.

Bien qu'encore imprécis, du moins en ce qui concerne le domaine de la stratégie, la notion de facteurs clés de succès est considérée comme des compétences que l'entreprise doit avoir si elle veut réussir dans un secteur d'activité donné. Ils se retrouvent autant en amont qu'en aval d'un secteur et conditionnent à eux seuls la stratégie de l'entreprise en terme de rentabilité et de compétivité, voir de survie. Une fois maîtrisés, les facteurs clés de succès peuvent être considérés comme des barrières à l'entrée pour les entreprises qui les maîtrisent et leur conférer un avantage concurrentiel (Porter 1980). Les facteurs clés de succès du secteur de la pharmacie sont nombreux et peuvent être déclinés en terme de savoir faire spécifique dans la R&D, de taille critique (internationale) et d'acquisition d'une certaine part de marché.

La recherche et developpement.

Les médicaments sont des technologies de pointe et la recherche en vue du lancement de nouveaux produits est la stratégie de base de la plupart des groupes pharmaceutiques; ceci bien que des firmes de taille relativement moyenne adoptent une démarche inverse et se spécialisent dans la vente de génériques ou dans l'achat de licences. Ces firmes ne sont généralement pas intégrées en amont, parce que la production de principes actifs à ce stade de la production est hautement contrôlée et nécessite un dégré de pureté élevé (pouvant aller jusqu'à à 99,9%). La maîtrise des procédés techniques procure un avantage technologique pour celles qui savent le faire et amènent la plupart à s'intégrer en aval pour conserver leur savoir faire et renforcer ainsi la barrière à l'entrée du secteur. Cette barrière à l'entrée est d'autant plus grande que très peu de fournisseurs acceptent de s'associer avec elles sous forme de contrat dans la mesure où les quantités requises de principes actifs ne sont pas dissuasives et que ces petites entreprises voudraient également faire jouer la loi de l'offre et de la demande chez leurs fournisseurs.

La recherche et developpement d'un médicament que la firme peut fabriquer en interne, ou en coopération avec des partenaires externes peut être scindée en deux grandes étapes. La recherche qui correspond à la découverte de la substance chimique et le developpement qui comprend à son tour quatre phases: (1) la recherche de base à partir de substance biologiques ou de molécules chimiques, (2) la phase de developpement du produit, (3) la phase de tests cliniques sur des animaux où on teste la sécurité d'un produit et détermine les dosages préalables pour l'espèce humaine, (4) la recherche clinique humaine pour tester la sécurité et l'efficacité d'un médicament et son dosage. Cette phase de R&D assez longue et coûteuse amène les laboratoires soit à les effectuer elles même lorsqu'elles en ont la capacité financière, soit à les externaliser avec le risque d'être copiés.

La taille.

Outre le savoir faire technologique, une taille critique est indispensable pour exercer dans le secteur à cause du coût très élévé en terme d'années de recherche et d'immobilisation technique. Lorsque se pose la question de faire ou de faire faire, la première hypothèse l'emporte généralement malgré les faibles quantités de principes actifs que nécessitent la fabrication d'un médicament - sauf si la technicité n'est pas importante comme dans le cas des génériques -. A ce moment, les firmes produisent les principes actifs en d'importants volumes pour avoir des coûts de revient unitaire faibles et amortir leur endettement financier, ceci quitte à fournir en principe actifs leurs concurrents et les fabricants de génériques. Ce mode de fonctionnement donne un double rôle à l'amont comme centre de coût pour les ventes internes et comme centre de profit pour les ventes externes.

La taille financière est une barrière forte à l'entrée du secteur de la pharmacie. Elle est exigible également dans les dépenses pour montrer aux administrations partout dans le monde l'efficacité d'un médicament. L'expertise de la production, la découverte d'un nouveau médicament et surtout le fait que la recherche et surtout le developpement peuvent échouer en cours de route, que les concurrents peuvent introduire des médicaments similaires ou que des médicaments peuvent présenter des effets secondaires inattendus malgré les différents tests cliniques, et nécessiter leur retrait de la circulation font qu'une certaine surface financière est nécessaire pour exercer dans le secteur. Les entreprises sont ainsi aménées à créer des joints ventures pour supporter le risque financier de la recherche.

La part de marché.

A cause des masses financières en jeu, l'une des stratégies des firmes pharmaceutiques consiste à minimiser les coûts grâce aux économies d'échelle. L'obtention d'une domination par les coûts exige une forte part de marché relative ou d'autres avantages, tels qu'un accès favorable aux matières premières. Réciproquement, une part de marché élevé peut à son tour permettre des économies au niveau des achats qui réduisent encore les coûts (Porter 1980). Le prix du médicament et la rapidité de son lancement sont des facteurs importants dans l'acquisition d'une certaine part de marché. Lorsqu'une firme pharmaceutique a ce qu'elle considère être un grand médicament mondial, toute la stratégie va viser à l'obtention d'une part de marché vis à vis d'une concurrence qui existe déjà et qui a une place. Toute la stratégie de R&D et de marketing se fera avec un objectif de prix mondial et donc de prix de transfert qui dépendent des prix de vente accordés par les administrations comme indiqué plus loin. La diversité des médicaments et surtout l'ordre d'arrivée sur le marché sont des éléments essentiels de part de marché. Les firmes rivalisent ainsi entre elles pour homologuer les médicaments possédant des caractériques thérapeutiques semblables, et le premier arrivé sur le marché acquiert généralement la plus grande part de marché parce qu'il est perçu par le monde médical comme étant le leader. Cela explique également que la plupart des firmes désirent être intégrées en amont pour garder secret leur processus de fabrication.

La concurrence dans le secteur de la pharmacie connaît une différence due à la nature même de l'activité. Puisqu'il s'agit de la santé de l'homme, les différents stades d'avancement dans la fabrication d'un nouveau médicament font l'objet d'une publication. Les concurrents connaissent ainsi toutes les séries de nouveaux médicaments qui se préparent et leurs stades d'avancement, ce qui rend "pieds et poings liés" les firmes du secteur. Une fois lancé le nouveau médicament, le risque réside dans la capacité des concurrents à offrir des me too's (médicaments ayant une structure chimique analogue), notamment si le médicament se vend bien, et grignoter ainsi des parts de marché. Lorsque la recherche n'est pas également allée jusqu'à sa phase finale, il n'est pas rare que les concurrents se servent des phases ultérieurs pour lancer leur médicament et devenir ainsi leaders sur le marché dans une classe thérapeutique donnée. A cause de l'importance de la part de marché, le marketing dans le secteur est hautement compétitif et les firmes utilisent d'importantes forces de vente pour informer les praticiens et promouvoir leur produits à travers la publicité dans les revues de médécine, le mailing, la participation à des congrès etc. La nature de l'activité, les facteurs clés de succès et la recherche d'autres avantages compétitifs poussent les firmes pharmaceutiques a acquérir une structure intégrée, ce qui théoriquement devraient faire des prix de transfert un outil essentiel de gestion.

4. La logique intégrative des firmes pharmaceutiques.

L'intégration verticale, la première stratégie de diversification (Harrigan 1983) a été l'un des moteurs de la productivité et de la sophistication managériale du début de siècle (Chandler 1962). Elle conserve un certain nombre d'avantages malgré la réticence des managers à effectuer des cessions internes.

La stratégie d'intégration verticale a fait l'objet de plusieurs explications théoriques. La théorie des pouvoirs de marché considère l'intégration verticale comme donnant accès à un pouvoir de marché, voir de monopole, qu'on peut étendre à d'autres marchés. L'économie des nouvelles institutions voit l'intégration verticale comme un moyen de venir à bout des difficultés contractuelles et des incertitudes liées au marché. Parce que le marché engendre des coûts de transactions élevés (coûts d'obtention de l'information, coûts de surveillance des contrats, etc..), il faut soustraire l'activité du hasard en l'intégrant (Coase1937, Williamson 1975). Enfin la littérature stratégique pour qui l'intégration verticale est le moyen d'obtenir un avantage concurrentiel (Porter1980). Un certain nombre d'attributs relatifs au stade de maturité du secteur, aux clients, aux produits, à la technologie, aux concurrents et à la composition de l'actionnariat permettent également de prédire l'intensité de l'intégration verticale. Dans le secteur pharmaceutique, la nature spécifique de l'activité et les objectifs stratégiques, au travers des facteurs clés de succès précedemment énumérés, concourent à la logique intégrative des firmes.

4.1 L'idiosyncratie des activités

S'intéressant particulièrement aux coûts de transaction des produits intermédiaires, Williamson (1975,1979, 1985) considère la spécificité des actifs, l'incertitude et la fréquence des transactions comme étant les facteurs d'émergence des coûts de transaction. La spécifité des actifs étant le facteur dominant (Williamson 1985 p30). Un actif est dit spécifique s'il ne peut être réutilisé à d'autres fonctions ou par d'autres utilisateurs. Ce qui soulève la contrainte du petit nombre et des possibilités de comportements opportunistes. La spécificité des actifs implique également l'élaboration de contrats de long terme, "de tels investissements peuvent et doivent avoir lieu en conjonction avec des échanges occasionnels ou le délai pour un produit donné s'étend sur une longue période" (Williamson 1985, p 241). Dans ce cas, l'intégration verticale et la hiérarchie sont nécessaires pour atténuer les comportements opportunistes et le dégré de hazard élévé associé à ce genre de transactions. Bien que discutable en certains points, par exemple l'implicite omniscience accordée à la hiérarchie qui dispose d'une compétence absolue, l'analyse de Williamson permet une bonne compréhension de l'activité économique et des structures de gestion qui la gouverne.

L'activité pharmaceutique est effectivement caractérisée par des investissements spécifiques et un niveau d'incertitude élevé dû au caractère innovant du secteur. Cette activité concerne essentiellement des produits intermédiaires pour lesquels il n'y a pas de marché pour la plupart et qui nécessite "(1) un niveau de qualification et de savoir faire spécifique, (2) des immobilisations directs pour la fabrication d'un composant spécial pour une offre externe ou (3) la localisation d'un équipement spécial pour une relation unique proche au stade inférieur à un processus pour lequel son offre est vital". La fabrication du principe actif, le principal produit intermédiaire, suppose en effet (a) des équipements spéciaux pour leur production, (b) des économies d'échelle pour amortir le coût élevé des investissements et (c) un nombre restreint des éventuels acheteurs. Ce qui implique que "l'intérêt des acheteurs et des vendeurs pour la poursuite de leurs échanges dans ces circonstances est fort et le mode organisationnel (l'intégration verticale) l'emporte invariablement sur les autres. Son avantage résidant dans le fait que des adaptations peuvent être effectuées de façon séquentielle sans avoir à consulter, compléter ou reviser des accords inter-firmes" (Williamson 1979, p 242).

4.2 Les objectifs stratégiques.

Les objectifs de la corporate stratégie à travers une stratégie d'intégration verticale visent essentiellement la performance des business units à travers le maintien d'un certain niveau de cash flows et la maximisation des synergies en ce qui concerne le partage des ressources entre les business units. Les activités du secteur de la pharmacie étant très apparentées, corporate et business stratégies se rejoignent souvent et leurs objectifs sont définis en terme de part de marché, de maximisation du profit et de leadership technologique.

Limitée dans sa phase embryonnaire à la fabrication de tablettes et de comprimés, l'activité pharmaceutique a très vite connu une structure intégrée en amont et en aval dans la mesure où la R&D et le maîtrise des canaux de distribution sont des éléments importants de la corporate stratégie. Les facteurs clés de succès du secteur étant définis en terme de savoir faire spécifique, de taille critique et d'un certain niveau de part de marché, les enjeux stratégiques des firmes pharmaceutiques reposent essentiellement sur des dépenses de sommes importantes en R&D, la création des joints ventures, des accords de licences et surtout un certain taux d'introduction de nouveaux médicaments. La recherche permet de rester présent sur le marché et les médicaments brevetés donnent un quasi-monopole pendant la durée du brevet, un price premium et un certain niveau de prix pour les génériques.

La structure des coûts étant la même pour toutes les firmes du secteur, la stratégie d'intégration verticale est plus compétitive qu'économique dans ce sens où le principal avantage de cette politique réside plus dans la différenciation des produits que dans la domination par les coûts. A partir du moment où la firme dispose d'un savoir faire technologique, être intégrée en amont assure la confidentialité du processus complexe et sophistiqué de fabrication. Les cessions internes seront donc privilégiées par rapport au marché. L'industrie pharmaceutique étant également l'une des plus rentable, maîtriser les différents canaux de distribution, permet de dégager des marges intégrées fortes. Il n'est pas rare en effet pour répondre à cette logique intégrative que les firmes s'associent et créent des joints ventures amonts ou avals pour maîtriser tout leur processus de production ou pour étendre leur ligne de produits.

5. Les pratiques de prix de transfert du secteur.

"Aussi bien que le problème (des prix de transfert) est une construction de l'esprit, il ne doit pas être surprenant de constater que la solution est artificielle" (J.M Fremgem (1970)).

Généralement présenté dans la littérature économique et comptable (Hirschleifer1956, Kaplan1982, Anthony et Dearden 1980) comme outil d'allocation des ressources et de mesure de performance des unités décentralisées, les prix de transfert sont supposés ne pas être neutres sur la performance des unités. Les pratiques des firmes pharmaceutiques sont un cas particulier où les prix de transfert sont neutres sur le management, les responsables étant évalués sur la rentabilité intégrée de leur activité. Dès lors, quelle peut être l'utilité des prix de transfert dans le secteur?

Outre l'objectif de mesure de performance, la fonction financière est également reconnue aux prix de transfert. La dualité des fonctions financière ou fiscale et de mesure de performance est en effet exacerbée dans le secteur, ce qui explique certainement l'utilisation généralisée du système de marges intégrées dans le secteur. Ce système permet à la fois une optimisation fiscale au niveau global et une analyse économique de la rentabilité.

Les firmes phamaceutiques, ou les divisions santé lorsque le groupe est assez diversifié, correspondent à des organisations coopératives de la typologie de Eccles (1983). Les divisions amont qui fabriquent des produits intermédiaires ont généralement deux rôles, un rôle de centre de coût pour les ventes internes et un rôle de centre de profit pour les ventes externes, ce qui pose souvent problème pour l'évaluation de leur performance, le niveau d'activité externe pesant sur leur performance interne et vice versa.

5.1 La politique de cessions imposées au coût standard.

La politique de prix de transfert dans les firmes pharmaceutiques se situe dans une perspective contingente (Solomons1965, Eccles 1983,1985). Dans la mesure où il n' y a pas de marché pour la plupart des produits intermédiaires, que l'activité est idiosyncratique et complexe, le savoir faire devient un avantage compétitif. Les firmes pharmaceutiques préfèrent intégrer la production de produits intermédiaires. Les cessions internes sont généralement imposées et la plupart du temps au coût standard.

Cependant, le fait que les cessions soient imposées au coût standard, met une fois de plus en contradiction la théorie et la pratique. Lorsque les cessions sont imposées au coût complet, les prix de transfert ne jouent plus leur rôle d'outil d'aide à la prise de décision et d'allocation des ressources (Kaplan 1982, Hirschleifer 1956), dans ce sens où les échanges externes ne peuvent pas être substitués à ceux internes; même si l'alternative externe est plus attractive. Le prix seul ne détermine plus ici la source d'approvisionnement. L' utilisation du coût standard nécessite également une bonne capacité de prévision de la part des unités acheteuses. C'est à ce niveau qu'apparaissent généralement les conflits sur les prix de transfert dans les firmes pharmaceutiques.

5.2 L'impact de la structure organisationnelle.

Une distinction est faite selon que les cessions aient lieu en amont ou en en aval. Outre l'activité pharmaceutique, les groupes pharmaceutiques exercent également dans des secteurs voisins (agrovétérinaire, cosmétologie, etc..). Chaque activité correspond généralement à une division aval avec en amont une division chimie chargée de fournir en matières premières les autres divisions. A cause de la forte interdépendance entre l'amont et les activités aval, la division amont est comme une fonction de production pour les unités avals. Elle est chargée de produire au meilleur coût et sa performance est jugée par rapport à un coût standard. La méthode du coût standard a une grande utilité ici, elle permet de bien séparer le double rôle de centre de coût et de centre de profit de la division amont et de mieux mesurer la contribution de chaque unité.

En aval, les filiales sont des entités de commercialisation ou de finalisation de la production des médicaments prêts à être consommés. Leur structure est la conséquence de la spécificité du marché du médicament. Les contraintes liées aux réglémentations et aux pratiques médicales locales, la faiblesse des coûts de transport liés au caractère non pondéreux des produits intermédiaires, l'internationalisation de l'activité et la nécessité de maîtriser les canaux de distribution rendent nécessaire la répartition des filiales par pays ou zones géographiques. Les filiales des groupes pharmaceutiques disposent généralement d'une structrure matricielle organisée par activités et zones géographiques. Chaque responsable d'une activité dépend hiérarchiquement d'un responsable pays, et fonctionnellement d'un responsable activité. Cette organisation par activité permet de calculer la rentabilité intégrée par produit.

5.3 La stratégie financière des prix de transfert.

La remunération de l'industrie pharmaceutique repose essentiellement sur l'obtention d'un prix de vente des médicaments et leur prise en charge par l'Etat. A cause de l'impact du médicament sur la santé publique, les Etats jouent un rôle de régulateurs sur les marchés nationaux et privilégient la confrontation de leurs objectifs économiques et sociaux. La confrontation classique de l'offre et de la demande ne se fait pas dans les conditions habituelle du marché.

La fixation du prix de vente d'un médicament est un composant majeur dans la détermination du prix de transfert. Ce prix de transfert est un prix fictif et répond aux exigences de la politique financière, qui consiste à anticiper et à s'assurer un rapide retour sur investissement des sommes investies en amont (en générale le centre) et nécessaires à la poursuite de l'innovation.

L'activité pharmaceutique étant caractérisée par un haut facteur de risque, la nécessité d'un taille mondiale, des coûts de R&D très élevés, et un fort pourcentage d'autofinancement, se pose dès lors le problème du retour sur investissement pour continuer l'innovation. Or l'évolution de l'activité dans le temps nous montre que trois facteurs viennent modifier et allonger la durée du retour sur investissement. Ce sont le contrôle de plus en plus strict de nouveaux produits, l'allongement de la durée de R&D qui raccourcit la période sous brevet (voir schéma), et la multiplication des génériques qui tire les prix de médicaments à la baisse (Lancle et Occili, 1985) et fait perdre des parts de marché.

Une fois le médicament reconnu par les autorités, deux possibilités d'amortissement s'offrent aux firmes pharmaceutiques, celle par le biais des filiales ou la concession de licences à des tiers. L'amortissement par le biais des filiales est préféré pour plusieurs raisons. (1) Les concurrents peuvent ne pas optimiser les ventes et privilégier leurs produits. (2) Les firmes pharmaceutiques préfèrent installer des unités de conditionnement dans les pays où les produits doivent être commercialisés. Le fait de vendre aux filiales permet d'optimiser les marges sans intervention d'un tiers et d'anticiper la récupération du capital sur la période de commercialisation encore sous protection du brevet, période dont le délai réel est en fait plus court que le délai théorique, de façon à ce que à l'échéance, l'apparition de génériques ne vienne provoquer une réduction trop importante de la marge sur vente dont l'allongement de la durée de R&D ne permet plus d'assurer le retour sur investissement (voir schéma). Ces propos du contrôleur de gestion de la division santé d'un groupe illustrent assez bien la problématique financière du secteur; "on a trop peu de temps pour recupérer la mise. Il faut que je paie ma R&D aujourd' hui puisqu'on ne me permet pas de l'amortir. Je paie mon chercheur aujourd'hui, à la limite, il sera mort quand je vais commencer à gagner de l'argent grâce à son invention".

Source : Langle, Occelli, op. cit.

Les prix de transfert aux filiales permettent donc d'accélérer l'amortissement des sommes investies en amont (généralement la société mère). Une fois calculé ce qui pourrait être le coût du principe actif et une fois le prix du médicament pour chaque pays connu, des prix de transfert différents selon les pays sont déterminés dans une certaine fourchette. L'essentiel de la rentabilité du groupe se trouve à ce niveau précis.

Les firmes pharmaceutique sont généralement réticentes - il faut souligner que la nature du marché du médicament y est pour beaucoup - à indiquer leur méthode de calcul des prix de transfert; en témoignent les batailles publiques sur le vrai prix d'un médicament. Ce prix intègre toutefois une part de frais généraux, une certaine renumération du coût du capital destiné à la recherche et developpement et une proportion du coût de production du principe actif. Il apparaît dès lors que c'est d' avantage une logique économique que comptable qui guide la détermination du prix de transfert dans le secteur de la pharmacie. "De même que la valeur économique d'un Van Gogh ne sied pas sur 300 grammes de peinture et sur 500 grammes de toile de lin, il en est de même du prix du principe actif" tenait à souligner un contrôleur de gestion du secteur. Toute chose étant égale par ailleurs, l'analyse de la rentabilité et l'évaluation de la performance reposeront sur la marge intégrée qui est le résultat d'un raisonnement économique plutôt que comptable. Cette méthode donne une marge de manoeuvre sur le plan fiscal et permet de mieux mesurer la rentabilité d'une activité.

5.4 L'enjeu fiscale .

Les prix de transfert ne répondent pas au nivreau des filiales, comme déjà mentionné, à une loi économique reposant sur un prix de marché ou la constatation d'un coût de revient. Les firmes pharmaceutiques ayant pour la plupart une structure internationale, minimiser la charge fiscale pour l'ensemble du groupe devient également un enjeu majeur. Donc en plus de la récupération des frais de R&D, il faut si possible optimiser la fiscalité.

Dans une perspective théorique, il est légitime de se demander si, vu le caractère internationale de l'activité et la centralisation de la détermination des prix de transfert, l'optimisation fiscale n'est pas un facteur important dans le secteur. Dans l'hypothèse où la hiérarchie est mieux informée et dispose d'une rationalité moins limitée que celle des responsables des filiales ou des divisions (Williamson 1975), elle va chercher à accroître fiscalement la richesse du groupe parfois au détriment de la rentabilité du produit au niveau des filiales comme entité juridique. Le système de marge intégrée facilite cette pratique. Dans la mesure où les firmes pharmaceutiques raisonnent en intégrée, elles peuvent fiscalement mieux optimiser les prix de transfert en retravaillant sur les sociétés juridiques, en augmentant ou en diminuant leurs résultats selon les pays (voir tableau). La politique d'accélération de l' amortissement du capital investi en amont est également un moyen de contourner la politique restrictive de rapatriement de dividendes de certains pays. Les libertés de manoeuvre par rapport à ces pratiques difficiles à cerner sont cependant restreintes, c'est pourquoi nous insisterons davantage sur la logique économique du système de marge intégrée.

5.5 L'analyse économique de la performance.

Pour pouvoir en amont amortir les frais de R&D et laisser une certaine marge nécessaire à la poursuite de l'exploitation des filiales, la plupart des groupes pharmaceutiques travaillent en intégrée. Dans la mesure où les firmes ne peuvent décider en avance quelle sera leurs prix de transfert, qui ne correspondent pas, rappelons-le à un prix de revient et qui varie selon les pays, on cherche à neutraliser l'effet des prix de transfert sur la performance des unités grâce à la marge intégrée. Le système de marge intégrée permet la cohérence entre l'évaluation de performance et les objectifs stratégiques, fiscaux et managériaux des firmes pharmaceutiques. Dans la mesure où l'investissement dans la R&D qui représente entre 15 et 17% du chiffre d'affaire des firmes pharmaceutiques est un élément indispensable de leur stratégie, être intégré d'abord sur le plan de la production a un coût moindre que de commercer avec l'extérieur et permet de dégager des marges intégrées fortes.

Dans une optique de management, le système de marge intégré derrière est le résultat d'un raisonnement économique. Il tient compte de la forte interdépendance entre les activités et de la nécessité de coopération entre les unités. A partir du moment où la firme est intégrée, il est préférable d'avoir une approche globale et donc avoir des comptes de résultats par produits et non par entités, ce qui minimise la dictature du compte d'exploitation et les coûts de transactions qui lui sont associés. Coûts de transactions matérialisés par les conflits ou la perte de temps dans des négociations de type tu perds tu gagnes pratiquées dans les entreprises concurrentielles (Eccles 1983).

Tableau 1 : Exemple de compte de résultat intégré d'un produit dans une firme pharmaceutique.

<--------------- Prix de transfert juridiques ----------------------------><--------- Management--------->


                   Sociéré X           Société Y           MANAGEMENT
Société            Fabrication         Fabrication de      INTEGRE
commerciale        de médicaments      principes actifs
                                       
Chiffre d'affaire                                          Chiffre d'affaire
  1000                                                      1000



Coûts              Prix de transfert
proportionnels          600
    600

                                                           Coûts intégrés
                                                              255
                   Matière Première    Prix de transfert
                       400                  400

                   Autres coûts         Autres coûts
                        100                 110

Coûts divers       Amortissements       Amortissements
      20                 5                   20



Marge brute        Marge brute           Marge brute
    380                 95                  270



"Marge primaire"   Autres coûts                            Autres coûts
     270                 95                                      95
Marge b. intégrée  Résultat                                Marge b. intégrée
     650                  0                                    650

Le système de marge intégrée permet de juger les responsables d'entités non pas sur leur compte d'exploitation parce qu'ils n'en ont pas l'entière maîtrise, mais sur leur contribution par rapport au résultat consolidé par produit. Le fait de travailler en marge intégré permet de savoir quels sont les produits rentables et pouvant couvrir les frais de R&D, et aux filiales d'axer leur politique commerciale sur ceux-ci. Il atténue également les comportements opportunistes et tient compte de la nécessaire coopération entre les entités à cause de la très forte interdépendance entre les activités. Comme le soulignait le responsable d'une filiale "Dans la mesure où les prix de transfert sont définis en corporate, ils ne reflètent plus la rentabilité économique de mon activité par rapport à ma structue juridique. Que l'on me vende un franc ou mille francs le principe actif, cela m'est égal, puisque je suis jugé sur ma contribution au niveau du management quelque soit l'endroit où se retrouve la marge."

Le sytème de marge intégrée suppose deux comptes de résultat. Un compte de résultat social ou juridique par entité et un compte de résultat consolidé pour le management. Dans la mesure où certaines décisions sont centralisées, les entités sont jugés sur leur contribution et non sur leurs comptes sociaux qu'ils ne maîtrisent pas entièrement. Si par rapport à la mesure de performance plusieurs critères autant quantitatifs que qualitatifs sont pris en compte, c'est surtout la contribution à la marge intégrée qui sert à l'évaluation de la performance; elle peut représenter jusqu'à environ 50% du bonus de renumération des responsables d'entités. La performance est jugée sur le résultat intégré dépollué de l'impact des prix de transfert qui ne doivent pas avoir un impact sur les décisions stratégiques et de management. Les coûts intégrés sont négociés lors du budget et sont supposés ne pas varier. Les variations sont à la charge des entités fournis de production. Les prix de transfert sont arbitraires en terme de gestion et sont déterminés pour des raisons financières et certainement fiscales. Ils sont fixés pour couvrir l'ensemble des frais financiers et de structure en dessous de la marge brute qui ne peuvent être alloués par produit. Le résultat est censé être nul pour les sociétés de production. Les marges devant être dans les sociétés commerciales.

6. Conclusion.

L'approche contingente s'est essentiellement limitée à la cohérence interne comme pouvant expliquer les politiques de prix de transfert. L'environnement externe de l'entreprise, et plus précisement les spécificités sectorielles ont souvent été négligés. Les pratiques des firmes pharmaceutiques nous fournissent à ce propos plusieurs enseignements. Si le système de prix de transfert est arbitraire en terme de gestion, ce qui est en contradiction avec la théorie, c'est parce qu'il subit les contraintes économique et financière du secteur. Ce qui nous conforte dans l'idée que les pratiques de prix de transfert sont situationnelles. Il nous est en effet arrivé à maintes reprises de constater que différentes politiques de prix de transfert sont pratiqués à l'intérieur des divisions d'un même groupe. Des lois économiques semblent guider ce choix.

S'agissant des firmes pharmaceutiques, la spécificité de l'activité, les contraintes financières et le caractère international du marché semblent exacerber la dualité des fonctions de management et d'optimisation fiscale et financière des prix de transfert.


BIBLIOGRAPHIE


NOTES

1. Nous qualifierons indifféremment de prix de transfert la facturation des prestations à l'intérieur d'une organisation quelle que soit la nature juridique des entités. Ceci bien qu'une distinction puisse être faite sur le plan de la sémantique entre, les prix de transfert pour nommer les prestations qui ont lieu entre filiales d'une même société mère avec des statuts juridiques distincts et les prix de cession interne pour qualifier les prestations entre les unités à l'intérieur d'une même entité juridique.

2. Eccles (1985) adopte par exemple ce point de vue lorsqu'il soutient que les cessions internes sont plus coûteux et conflictuels dans la hiérarchie que sur le marché et que leur maintien dans la hiérarchie sert essentiellement aux objectifs d'information et de contrôle.

3. La réduction du temps et des coûts de R&D grâce au passage d'une organisation fonctionnelle à une organisation matricielle des projets de recherche qui permet une meilleur rationalisation des compétences et l'utilisation de l'outil informatique semblent également des éléments de réponse selon Roger Richard in Pharmaceutique, n°13, janvier 1994.

4. Voir également Mbianga (1992) pour une synthèse de la littérature et des différentes approches

5. H.J Schaub, Tranfer Pricing in a Decentralized Organization, Management Accounting, April 1978.

6. Le Monde.

7. Une enquête réalisée auprès d'un échantillon représentatif de la population française montre cependant que l'industrie pharmaceutique ne communique pas assez; et 5 personnes sur 6 ne savent pas que le prix du médicament en France est l'un des plus bas de la CEE après celui du Portugal. Pharmaceutique, n° 11, Novembre 1993.

8. Une définition opératoire pour le contrôle de gestion est par exemple proposée par H. Bouquin (1991). A partir de l'analyse des cinq forces de la concurrence de Porter, Bouquin appelle facteurs clé de succès "les atouts sur lesquels l'entreprise compte pour atteindre ses objectifs à long terme en résistant à ces cinq forces" (p 65).

9. Hormis les firmes de génériques, aucune nouvelle firme pharmaceutique n'est ainsi apparue sur le marché depuis des décennies.

10. Le temps requis pour l'introduction d'un nouveau médicament auprès de l'administration américaine en 1981 était estimé à environ 10 ans et à 60 millions de dollars de coûts. Plus récemment, la discussion actuelle aux Etats-Unis sur le vrai coût d'un nouveau médicament le situe entre 130 et 500 millions de dollars, Pharmaceutiques, n°13, janvier 1994. Cette progression illustre bien l'analyse de Langle et Occelli (1983) selon laquelle le coût d'un nouveau médicament est une fonction linéaire du temps.

11. La fin des années 1980 a par exemple été marquée par de nombreuses fusions et acquisitions dans l'industrie pharmaceutique, le principal objectif étant la taille critque ou l'entrée sur de nouveaux marché. C'est le cas notamment de Rhône Poulenc qui en acquérant Rorer a pu accéder au marché américain. L'effet de mode étant passé, c'est plutôt les alliances ou des accords de coopération qui se nouent à l'aube des années 90.

12. Toutefois, la concurrence par les prix est faible dans la mesure où le marché n'est pas régi par les lois traditionnelles de l'offre et de la demande et que la structure des coûts est presque la même pour tous. Une concurrence par les prix peut aboutir à une dégradation de la rentabilité pour l'ensemble du secteur, à moins que l'élasticité de la demande par rapport au prix du secteur soit forte, ce qui est vrai dans une moindre mesure pour les génériques. Les firmes préfèrent donc miser d'avantage sur le marketing qui est plus susceptible de developper la demande et la différenciation, donc le profit.

13. L'intensité de l'intégration étant compris ici à la fois en terme d'étendue (le niveau de différenciation et de ressources nécessaires), de possibilité de choix (faire ou faire faire tout ou une partie des inputs), et de forme due à la composition de l'actionnariat.

14. C'est par exemple le cas pour certains contrats de construction automobile.

15. Plusieurs fonctions comme la R&D, la production et le marketing sont souvent exercées en centrale dans les groupes pharmaceutiques.

16. Le point de départ de l'intégration verticale dans le secteur est situé à la synthèse de la pénicilline après la seconde guerre mondiale selon K. Harrigan (1983), chapitre 8.

17. Nous nous intéressons essentiellement aux grandes firmes pharmaceutiques orientées vers la recherche et dont le profit à court terme est moins important que le developpement des produits. Contrairement aux firmes qui fabriquent des génériques et dont le positionnement stratégique à long terme est précaire et l'objectif premier est la maximisation du profit à court terme. L'autre conséquence de cette différence d'objectifs stratégiques réside dans le fait que les dernières sont moins intégrées que les première et le problème des prix de transfert s'y pose moins.

18. Opus cité.

19. Dans l'hypothèse où il existe un prix de marché, le choix du coût standard par rapport à un prix de marché dans une stratégie d'intégration verticale est l'avantage par les coûts qu'il est susceptible de procurer au niveau des produits intermédiaires, ceci suppose que le coût standard soit inférieur au prix de marché.

20. Voir également Eccles et White (1988).

21. Dans la mesure où les prix de transfert font intervenir la relation contractuelle client/fournisseur, il n'est pas rare notamment en amont que le fournisseur souhaite (vu la spécificité des investissements et la complexité de la production) partager le risque avec son client et appliquer la politique de take or pay .

22. Les conflits reposent essentiellement sur les prévisions en quantité et sur la qualité des produits intermédiaires. Dans certaines entreprises cependant, lorsque le centre vendeur amont a une production diversifiée de produits intermédiaires et que ceux ci ont un marché, un système de facturations internes est mise place. L'amont est à ce moment considéré comme un centre de profit et facture ses prestations, ce qui est souvent sources de conflit. Les opérationnels se sachant jugés sur la marge intégrée ne se soucient pas des cascades de marges.

23. Les producteurs n'appréhendent également que très partiellement les consommateurs de leurs produits, les consommateurs ne procédent aux achats que sur les indications d'un prescripteur (le médécin) et l'achat du médicament est effectuée en grande partie par un tiers (Les organismes sociaux).

24. Les autres éléments étant (1) la nécessité de maintenir une cohérence des prix de transfert dans certaines région ou entre certains pays; (2) la structure finançière de certaines filiales ou encore leur structure d'exploitation qui absorbe plus ou moins de marge.

25. Par reférence à un coût de production et au fait qu'il est variable selon les pays.

26. Les unités de production des principes actifs faisant appel à des technologies sophistiquées et nécessitant un dégré de contrôle élevé, les principes actifs sont généralement fabriqués dans le pays d'origine. Les contraintes liées aux réglementations et aux pratiques nationales et la maîtrise des circuits de commercialisation expliquent la transnationalisation Second rapport du conseil économique et social. Journal Officiel n°1, janvier 1986.

27. La durée du brevet est fixée à 20 ans après la découverte du principe actif, mais l'allongement de la durée de developpement raccourcie pour autant la période de commercialisation sous protection du brevet.

28. Par rapport aux contraintes fiscales et douanières, trois méthodes de détermination des prix de transfert sont généralement reconnues par les administrations fiscales. Il s'agit (1) du système de prix comparables qui est l'équivalent d'un prix de marché pour les produits d'une classe thérapeutique comparable, (2) le prix de revient plus une marge et (3) le système de partage de bénéfice. Si les administrations sont conscientes de la spécificité des produits pharmaceutiques, elles exigent cependant une certaine cohérence dans la démarche des firmes.

29. Prix qui a des repercussions fiscale et douanière et sur la concurrence.

30. Qui est relativement faible dans la valeur réelle d'un principe actif.

31. Voir Dejean N. et Chassaing V: 1992, "Nouveaux standards américains en matières de prix de transfert : contraintes et opportunités pour les entreprises françaises. D'autre part, la théorie de l'acte normal de gestion qui réprouve les achats ou ventes à des prix anormaux semble difficilement applicable aux prix des principes actifs. L'article 57 du CGI et la jurisprudence semble également assez libérals dans la mesure où c'est l'administration qui prouve le transfert et que ne sont réprimés que les transferts de bénéfices à l'étranger.