Entretien avec Benoît Lavigne,
Ancien membre du DEA 124 et docteur en sciences de gestion,
Professeur du département des sciences comptables de l'Université du Québec à Trois-Rivières (Canada)


Véronique Rougès. : Benoît Lavigne, qui êtes-vous ?

Benoît Lavigne : Je suis professeur à l'Université du Québec à Trois Rivières (UQTR). De façon très classique, mon activité se répartit entre l'enseignement et la recherche. Je dispense des cours de comptabilité générale, essentiellement en licence, et puis maintenant dans un programme de maîtrise professionnelle. En ce qui concerne la recherche, je poursuis l'étude des problématiques issues de ma thèse réalisée à Dauphine, sur la comptabilité générale des PME.

Caroline Lambert : Canadien, vous avez donc décidé de venir en France pour réaliser votre thèse. Pourquoi ce choix ?

B.L. : Tout d'abord, c'était un choix qui me permettait de travailler dans un contexte international et sur une problématique qui m'intéressait tout particulièrement : celle des PME. Ce qui n'aurait peut-être pas été possible dans un contexte nord-américain, où la " grande " entreprise apparaît comme le seul objet légitime de recherche. En Europe, le tissu industriel ressemble beaucoup au tissu industriel québécois.

De plus, d'un point de vue pratique, la scolarité canadienne et nord-américaine exige deux ans à temps plein avant de pouvoir s'engager dans la thèse proprement dite. Lorsque l'on travaille dans une université régionale au Québec, où l'on doit à assumer à la fois des tâches d'enseignement et de recherche, l'efficience est cruciale. Si l'on peut acquérir des outils de recherche en une seule année, cela permet d'être plus efficient.

C.L. : Je ne sais pas si vous avez pu comparer, mais l'enseignement dispensé en DEA est-il différent de ceux dispensés en doctorat au Canada ?

B.L. : L'esprit est relativement similaire. Il y a peut-être plus de cours d'économétrie, de techniques quantitatives orientées vers les canons de recherche nord-américains. Personnellement, le développement de grands modèles économétriques m'aurait peu été utile d'ailleurs, puisque je m'intéresse surtout à la circulation de l'information comptable dans les PME.

V.R. : Le DEA 124 est très international. Conseilleriez-vous aux étudiants étrangers de choisir des sujets de thèse en relation avec les spécificités culturelles ou de mener des études comparatives ?

B.L. : Mon sujet était très orienté vers le Québec : " L'utilisation des comptes annuels et intermédiaires par des sociétés de petite taille québécoises ". Je pense qu'il est nécessaire d'avoir une bonne maîtrise de ce qui se passe au plan local avant de pouvoir se lancer dans des recherches comparatives.

V.R. : Vous avez fait votre DEA et votre thèse en France. Cela vous a-t-il posé des problèmes pour enseigner au Canada ?

B.L. : Absolument pas. L'exigence de notre université était de détenir un doctorat, peu importe son origine. Dans notre unité administrative, sur les quatre professeurs titulaires d'un doctorat, trois l'ont réalisé en France, et un professeur est titulaire d'un Ph.D. de l'Université de Laval. L'important, c'est de détenir un doctorat afin d'avoir les outils permettant de faire de la recherche, et d'avoir les pré-requis exigés par les organismes subventionnaires canadiens.

Vraiment, je suis ravi d'avoir fait ma thèse dans ces conditions. J'ai pu étudier, faire ma scolarité en un an, travailler sur une problématique qui me tenait à cœur, qui a été acceptée ici sans problèmes et travailler avec Bernard Colasse a été une expérience fantastique, même si c'était à distance, puisque mon terrain était au Québec. Mais grâce aux moyens de communication, cela a toujours bien fonctionné.

C.L. : Des souvenirs marquants du DEA ?

B.L. : Comme le DEA regroupe beaucoup d'étudiants étrangers, on ne se sent pas du tout marginalisé. On voit que cela fait partie de la culture du DEA d'accueillir des étudiants étrangers. De plus, en tant que québécois, on se sent un peu comme vos petits cousins, ici, et on est accueilli de façon un peu particulière.

C.L. : Quels ont été vos cours préférés en DEA ?

B.L. : J'ai bien aimé le séminaire avec Bernard Colasse qui m'a amené jusqu'à mon mémoire de DEA puis jusqu'à la thèse. Il s'appelait à l'époque " Demande d'informations comptables ". J'ai aussi de très bons souvenirs de " Comptabilité comparée " avec Jacques Richard. Ces deux séminaires étaient aussi ceux qui se rapprochaient le plus de mon orientation " Comptabilité générale ".

V.R. : Concernant le mode d'évaluation des cours en DEA, avez-vous été surpris ou désorienté par le type de travaux qui étaient demandés ?

B.L. : Non. Pour avoir fait une Maîtrise Scientifique (équivalent d'un DESS), car je ne peux pas trop comparer par rapport à un Ph.D., cela me semblait très similaire aux exigences d'autres troisièmes cycles au Canada.

V.R. : D'après ce que vous nous dites, au moment de faire votre DEA, vous aviez déjà une idée de votre sujet de thèse.

B.L. : Oui. Compte tenu de ma maîtrise scientifique, j'avais déjà une idée de ce qu'était la recherche en science comptable, j'avais déjà une idée des problématiques qui m'intéressaient. Très rapidement, j'ai dû choisir un sujet, car j'avais une contrainte très forte en terme de temps. J'avais obtenu une dispense d'enseignements de trois ans au Québec pour faire ma thèse. Chaque minute comptait. Je savais qu'en alignant mes travaux de DEA sur ma problématique de thèse, cela me permettait de gagner du temps. En particulier en faisant mon mémoire de DEA dans la lignée de ma thèse, j'économisais encore du temps.

C.L. : Et la thèse à distance, cela n'a pas été trop difficile à gérer ?

B.L. : Comme j'avais une idée assez claire de ma problématique rapidement, et que le professeur Colasse répondait rapidement à mes interrogations, je n'ai pas trop " erré ". De plus, étant déjà enseignant, avec ce délai de trois ans, je savais où j'allais, j'étais très motivé.

C.L. : Cela donne vraiment l'impression que tout s'est déroulé sans accroc ni hésitations. Vous confirmez ?

B.L. : Avoir un sujet n'empêche pas un certain temps de maturation de la problématique. Il y a un mouvement circulaire en recherche qui est normal. On fait des avancées, puis on recule, c'est normal. A un moment donné, j'ai écrit un bout de thèse, et puis on s'est aperçu que c'était un périphérique, et vingt pages sont devenues deux pages au final. C'est normal.

C.L. : Un conseil pour ne pas se perdre ou pallier l'angoisse de la maturation ?

B.L. : Écrire. Écrire rapidement son cadre théorique, notamment, permet de ne pas se perdre.

C.L. : Une question susceptible d'intéresser à la fois les étudiants québécois intéressés par des études en France et des professeurs français qui désirent s'expatrier outre-Atlantique : Existe-t-il une véritable différence dans les relations étudiant/professeur ?

B.L. : Assurément. D'une manière générale, la distance entre l'étudiant et le professeur est bien plus grande en France. Dans le contexte nord-américain, dès les études de deuxième et de troisième cycle, la distance devient beaucoup plus réduite, au point que les étudiants n'hésitent pas à remettre en question ce qu'un professeur va dire ou faire. Situation à laquelle on peut difficilement s'attendre en France.

V.R. : A des étudiants ou des maîtres de conférence qui souhaiteraient faire carrière au Québec, quels conseils leur donneriez-vous ? Quels sont les critères d'embauche dans les universités ? Dans quel type de revues faut-il publier ?

B.L. : Il y a un manque de professeurs dans les universités des centres urbains au Québec. Avec une thèse de bonne qualité, sur une problématique porteuse, dans l'optique de publications futures à l'international, c'est une bonne base.

Bien sûr, il faut faire ses preuves, parce qu'on est admis comme professeur adjoint au Québec, et qu'il faut ensuite demander l'agrégation. Le processus n'est pas tout à fait le même qu'en France : au Québec, l'agrégation n'est pas un concours. Il faut donner de bons cours, avoir un bon niveau de pédagogie universitaire, présenter dans des congrès et publier. Il existe un système de notation dans les grandes universités. Plus les revues ont de la notoriété, plus elles fournissent des " points ", et on augmente ainsi notre chance d'obtenir l'agrégation.

C.L. : Et le fait de travailler sur des problématiques ou en utilisant des méthodologies hors du courant majoritaire nord-américain ne pose pas de problèmes ?

B.L. : Non, car le besoin en professeurs universitaires au Québec est réel. De plus, une certaine ouverture semble s'amorcer. Une deuxième revue académique canadienne en comptabilité va voir le jour cette année : Perspectives Comptables Canadiennes, et sa ligne éditoriale met en avant une pluralité de types de recherches. D'autre part, les participations au Congrès de l'A.F.C. et les publications dans Comptabilité Contrôle Audit sont très valorisées.

C.L. : Un des critères pour l'agrégation au Canada est donc de donner de " bons " cours. Vous êtes évalué par les étudiants ?

B.L. : Oui, tout à fait. Maintenant, cela se fait de façon informatisée. Sur un certain nombre de critères, les étudiants vous évaluent. Les questions sont du type : " Est-ce que l'enseignant maîtrise bien les connaissances ? L'enseignant transmet-il bien les connaissances ? Répond-il bien aux questions ? Est-il disponible ? Utilise-t-il des méthodes pédagogiques innovantes ? ", etc… Il est à noter que l'évaluation pédagogique revêt une importance plus marquée dans les universités régionales en comparaison aux " grandes " universités, où l'agrégation va dépendre plus de la recherche.

Caroline Lambert et Véronique Rougès